Les fusillades impliquant des tireurs actifs sont tragiques pour les victimes et leur famille, la collectivité touchée et toute la nation. Mais jusqu'à récemment, très peu d'études avaient été menées sur le sujet.
Des chercheurs du programme Advanced Law Enforcement Rapid Response Training Centre (ALERRT) et de la Texas State University à San Marcos ont commencé à analyser les fusillades survenues aux États-Unis après le premier attentat visant la base militaire américaine de Fort Hood, en 2009. Il n'existait alors aucune analyse méthodique sur les tireurs actifs. Leurs articles ont mené à l'adoption d'une méthode rigoureuse de collecte de données.
Après la fusillade de 2012 à l'école primaire Sandy Hook, à Newtown (Connecticut), leFederal Bureau of Investigation (FBI), suivant la directive du procureur général, a entrepris de dresser la liste des fusillades impliquant des tireurs actifs et de les analyser. Le FBI a travaillé avec des chercheurs d'ALERRT et de la Texas State University à l'étude parue en septembre 2014, un partenariat qui a permis une analyse approfondie du phénomène.
L'étude avait pour but de fournir aux organismes d'application de la loi fédéraux, locaux et d'État les données les plus exactes possible sur ces crimes afin de mieux comprendre comment les prévenir, s'y préparer, y réagir et s'en relever.
Les résultats de l'étude
Les chercheurs ont dénombré 160 cas survenus entre 2000 et 2013 qui correspondaient à la définition d'une fusillade impliquant un tireur actif, un individu qui a entrepris ou qui tente de tuer des gens dans un espace restreint où se trouvent plusieurs personnes. Ils ont ensuite obtenu des rapports officiels des services de police qui sont intervenus pour disposer des données les plus exactes possible.
L'analyse a révélé plusieurs tendances et éléments d'information instructifs.
- La fréquence des fusillades impliquant des tireurs actifs serait en hausse. En moyenne, 6,4 fusillades sont survenues au cours des sept premières années visées par l'étude comparativement à 16, 4 pendant les sept dernières années. Une seule de ces tragédies s'est produite en 2001, mais c'est en 2010 que le nombre le plus élevé a été enregistré, soit 26.
- Aucune tendance géographique n'a été constatée, les crimes ayant été commis partout au pays.
- Les fusillades ont pris fin rapidement. De celles dont la durée a pu être mesurée, 69 p. 100 avaient pris fin en cinq minutes ou moins.
- Soixante pour cent des fusillades ont pris fin avant que les policiers n'arrivent sur les lieux, ce qui témoigne de la vitesse à laquelle elles se sont déroulées.
- Les tireurs actifs auraient tué 486 personnes et en auraient blessé 557, pour un total de 1 043.
- Les tireurs actifs n'ont pas de profil typique. Seulement six d'entre eux étaient de sexe féminin. Ils étaient âgés de 13 à 88 ans, et tous les grands groupes ethniques étaient représentés dans une proportion semblable à celle dans la population générale.
- Les attentats visaient le plus souvent des entreprises, un peu plus de 45 p. 100 d'entre eux étant survenus dans un commerce de détail, un bureau ou un entrepôt. Dans environ 24 p. 100 des cas, les tireurs ont ciblé des écoles.
Dénouement des fusillades
Les données les plus intéressantes et utiles tirées de l'analyse concernent la façon dont les fusillades ont pris fin. Dans la majorité des cas (55 p. 100), les événements étaient finis avant l'arrivée des policiers.
De cette proportion, 37 p. 100 se sont terminées par le suicide du tireur, par la fuite de celui-ci ou par son départ vers un autre endroit pour se suicider. Le reste du temps (dans 18 p. 100 des cas), des civils ont intercepté le tireur. Si les policiers ont eu le temps de se rendre sur les lieux (45 p. 100 du temps), c'est le tireur ou la police qui a mis fin à l'incident.
Dans 16 p. 100 de ces cas, le tireur s'est suicidé ou s'est livré aux policiers. Le reste du temps (29 p. 100), les policiers sont arrivés à arrêter le tireur, le plus souvent en lui tirant dessus (22 p. 100).
Les policiers ont échangé des coups de feu avec le tireur dans 45 des cas répertoriés. De ce nombre, 21 ont fait cinq morts et 28 blessés parmi les policiers. Du fait que 72 incidents (45 p. 100) ont pris fin après l'arrivée des policiers, on peut conclure que 29,2 p. 100 du temps, des policiers ont été blessés ou tués en présence d'un tireur actif. Ce genre d'intervention est donc la plus dangereuse pour les agents de la paix.
Des éléments à considérer
Les chercheurs croient que les policiers peuvent tirer profit des résultats de l'étude de deux façons. D'abord, le déroulement rapide des événements témoigne de la nécessité pour les services de police de faire un examen réaliste de leurs politiques d'intervention. À la suite de la tuerie à l'école secondaire Columbine, les services de police ont modifié leurs politiques : auparavant, la pratique était d'établir un périmètre et d'attendre un groupe tactique.
Les services de police ont commencé à créer des équipes de patrouilleurs qu'ils forment pour affronter la menace. Les incidents durent en moyenne cinq minutes, alors chaque seconde compte. En raison de leur faible effectif, certains services de police de petites villes ou de secteurs ruraux doivent composer avec des délais d'intervention plus longs. Les organisations, peu importe leur taille, peuvent envisager de former des policiers à intervenir en solo plutôt que d'attendre qu'une équipe soit formée.
Ensuite, la nouveauté la plus récente de la formation sur les interventions en présence de tireurs actifs concerne les soins médicaux. Pendant les 160 attentats, 1 043 civils ont été tués ou blessés. Les policiers sont les premiers intervenants sur les lieux. Après avoir arrêté le tueur, ils doivent être prêts à porter secours aux victimes.
On suggère aux services de police de distribuer aux patrouilleurs des trousses médicales contenant des garrots et des agents de coagulation et de leur montrer à les utiliser. De plus, les services de police devraient offrir une formation croisée avec les services médicaux d'urgence et d'incendie locaux, qui ont des connaissances médicales plus poussées. Une bonne communication entre policiers, pompiers et ambulanciers permet de sauver des vies.
L'importance de l'intégration des services a été constatée après une analyse de la fusillade au cinéma d'Aurora (Colorado). Des policiers se sont postés sur un terrain de stationnement tandis que les pompiers et les ambulanciers se trouvaient à quelques centaines de mètres de là. La communication ne se faisait pas bien des deux côtés, et les policiers ont fini par transporter des blessés à l'arrière de leurs véhicules, ce qui a surchargé les salles d'urgence et nui à la capacité du personnel des hôpitaux à soigner les nombreux blessés admis.
Ce que les civils peuvent faire
L'étude révèle également l'existence de politiques relatives aux mesures que peuvent prendre les civils en présence de tireurs actifs. N'oublions pas que 55 p. 100 des fusillades se sont terminées avant l'arrivée des policiers, dont 18 p. 100 (29 cas) ont pris fin grâce à l'intervention de civils.
L'équipe d'ALERRT a conçu le cours sur l'intervention civile en présence de tireurs actifs (CRASE) afin d'apprendre aux policiers à enseigner aux membres du public quelles mesures peuvent leur sauver la vie dans une situation dangereuse. Ce cours est axé sur un mécanisme d'intervention de base : éviter le tireur, bloquer l'accès et se défendre.
Éviter le tireur. Tout d'abord, il faut s'éloigner de la menace. Si possible, les civils doivent quitter le lieu de la fusillade. Il est important qu'ils s'éloignent assez pour être en sécurité. Dans le cas d'un incendie, il suffit souvent de traverser la rue. En présence d'un tireur actif, on doit généralement s'éloigner plus (souvent de quelques pâtés de maisons), car le suspect pourrait tirer sur des civils depuis l'intérieur d'un bâtiment. Et on s'assure ainsi de ne pas se retrouver dans la mire du tireur s'il se déplaçait.
Bloquer l'accès. S'il est risqué de quitter le lieu où on se trouve, il faut empêcher le tireur d'y accéder. Mais il ne s'agit pas de se cacher. Le geste le plus simple, qui s'est avéré très efficace selon l'étude, est de verrouiller la porte de la pièce. Pendant les attentats survenus aux États-Unis, aucun tireur n'a franchi de porte verrouillée. Les verrous sans clé sont plus utiles que ceux qui se ferment à clé (mettre une clé dans une serrure requiert une motricité fine qui peut être compromise en présence d'un tireur actif).
On ne trouve pas de portes avec verrou partout. Si la porte s'ouvre de l'intérieur, on peut se servir de meubles et placer des arrêts de porte ou d'autres objets entre le plancher et la porte pour empêcher celle-ci de souvrir. Malheureusement, si la porte s'ouvre de l'extérieur (ce qui est généralement prévu dans les codes du bâtiment modernes) et qu'elle n'est pas munie d'un verrou, il sera beaucoup plus difficile de bloquer l'accès. On pourrait attacher la poignée à quelque chose d'autre avec une corde, mais cela peut s'avérer difficile en situation de stress.
Se défendre. Si les civils ne peuvent éviter le tireur ou l'empêcher d'accéder à l'endroit où ils se trouvent, il ne reste qu'une option : se défendre. Dans de nombreux cas, les personnes sur les lieux ont survécu en maîtrisant l'assaillant. Diverses techniques peuvent être utilisées, comme attaquer en groupe, se placer à l'entrée d'une pièce de manière à surprendre le tireur et se protéger à l'aide d'un objet.
Conclusion
Les principales conclusions et considérations stratégiques découlent d'une étude méthodique d'attentats perpétrés par des tireurs actifs. En résumé, on a constaté que ces tragédies semblent se produire plus souvent qu'avant, qu'elles durent pour la plupart moins de cinq minutes, qu'elles prennent fin avant l'arrivée des policiers et que les entreprises, suivies des écoles, sont les endroits les plus ciblés. De plus, les civils peuvent avoir un effet direct sur leur dénouement. Ainsi, les chercheurs sont d'avis que les policiers devraient suivre une formation rigoureuse et que les civils devraient être informés des mesures à prendre en présence d'un tireur actif.