Les partenariats entre la police et les universitaires se sont récemment intensifiés dans le but de réprimer le crime. Contrairement aux partenariats de recherche traditionnels entre les universitaires et les corps policiers, l'intégration d'un criminologue à un service fait de lui une ressource interne.
Le criminologue maintient son objectivité et son autonomie scientifiques dans l'exécution d'études au sein d'un service de police. Toutefois, il y joue également un rôle important en collaborant à l'élaboration de programmes fondés sur l'analyse et l'évaluation du crime et en présentant des preuves scientifiques en vue d'orienter la prise de décisions des cadres policiers.
Dans le présent article, je fais un résumé de mon travail en tant que criminologue intégré au Service de police de Boston (SPB) pendant le mandat de l'ancien commissaire Edward F. Davis, entre 2007 et 2013.
L'initiative de Boston
En décembre 2006, Edward Davis a été assermenté par le maire Thomas M. Menino à titre de commissaire du SPB. Après une diminution remarquable des crimes violents dans les années 1990, Boston a vu une intensification de la violence du début jusqu'au milieu des années 2000, qui a culminé à 7 533 crimes violents répertoriés en 2006.
Le plus préoccupant était l'augmentation de la violence dans la rue, en particulier des voies de fait perpétrées avec une arme à feu : le nombre total de fusillades mortelles et non mortelles s'est accru de 133 p. 100, passant de 162 en 2000 à 377 en 2006.
Durant les premiers mois de son mandat, M. Davis m'a nommé conseiller principal en politiques et confié la tâche de collaborer avec le service à l'élaboration de stratégies pour aider celui-ci à mieux gérer le nombre restreint d'endroits et de personnes à l'origine de la majeure partie des crimes violents dans la ville.
Répression dans les secteurs chauds de la violence criminelle
En janvier 2007, le comm. Davis a mis sur pied une initiative de répression dans les secteurs chauds axée sur des équipes de sécurité dans la rue (safe street teams , dites SST). À l'aide d'un logiciel de cartographie et des données de crimes violents répertoriés en 2006, j'ai travaillé avec le centre de renseignements régional de Boston (BRIC) en vue de relever 13 secteurs chauds.
On a nommé un surintendant adjoint chargé de superviser l'initiative et, dans chaque secteur cible, une équipe formée d'un sergent et de six agents de patrouille a été affectée en permanence et chargée de mettre en œuvre des mesures de résolution de problèmes communautaires.
En lançant le programme, le SPB voulait s'assurer que les secteurs d'affectation des SST correspondaient effectivement aux points les plus uniformément chauds de la ville. L'affectation à long terme de ressources fort limitées à des points de crimes violents serait peu judicieuse si ces points se déplaçaient au fil des ans sans égard aux activités de répression.
Par conséquent, nous voulions analyser dans le temps la concentration et la stabilité de la criminalité dans certains points chauds de la ville. L'exercice visait à faire en sorte que les équipes étaient affectées aux lieux qui affichaient des occurrences répétées de crime sur une période étendue.
L'analyse a révélé une stabilité remarquable des tendances à la violence criminelle dans des côtés d'îlot et à des intersections précis. Pour les vols qualifiés, de 1980 à 2008, environ 1 p. 100 des îlots et 8 p. 100 des intersections affichaient près de 50 p. 100 de tous les vols commis dans des commerces, et 66 p. 100 des vols dans la rue.
Situation analogue pour la violence mettant en cause une arme à feu, alors que seulement 5 p. 100 des côtés d'îlot et des intersections affichaient 74 p. 100 de ce genre de crimes dans la même période. Près de 89 p. 100 des côtés d'îlot et des intersections de la ville n'ont connu aucune fusillade durant cette période de 29 ans. Chose étonnante, les 60 côtés d'îlot et intersections les plus ravagés par le crime à Boston ont connu plus de 1 000 fusillades entre 1980 et 2008.
Si l'analyse a confirmé que les agents étaient affectés aux endroits connaissant le taux le plus uniforme de violence, l'exercice a aussi révélé que de nombreux endroits marqués par la violence n'étaient pas couverts par le programme. C'est pourquoi on a appliqué des techniques d'appariement statistique pour relever des intersections et des côtés d'îlots témoins affichant un taux similaire de violence à inclure dans un plan de recherche quasi-expérimental rigoureux.
L'évaluation a montré que le programme SST est lié à une réduction statistiquement significative de 17 p. 100 des crimes violents dans les zones du programme par rapport aux zones témoins. En d'autres termes, la concentration de l'intervention policière dans les secteurs chauds n'a pas simplement provoqué le déplacement des crimes de violence vers d'autres quartiers.
Réduction de la violence commise par les gangs
Malgré les louanges reçues à l'échelle internationale, le SPB a mis fin à sa stratégie de dissuasion, l'opération Ceasefire , comme principale intervention contre la flambée de violence par les gangs en janvier 2000. À la lumière de la recrudescence des fusillades impliquant des gangs à Boston, le comm. Davis a annoncé, peu après sa nomination, le rétablissement de l'opération Ceasefire . Comme ce fut le cas dans les années 1990, j'ai participé au groupe de travail Ceasefire et ma première contribution a été d'analyser les homicides et les fusillades impliquant des gangs dans la ville.
L'analyse des problèmes a révélé que la résurgence de la violence armée durant les années 2000 étaient liée à la même dynamique de gangs que dans les années 1990. En 2006, un peu plus de 1 p. 100 des jeunes âgés de 14 à 24 ans ont été impliqués dans 65 gangs de rue exerçant des actes de violence.
Cela dit, la violence des gangs est à l'origine de plus de la moitié des homicides, et dans près des trois quarts des fusillades non mortelles, les membres de gang étaient des victimes. Les auteurs et les victimes de la violence impliquant une arme à feu étaient souvent bien connus du système de justice pénale, ayant de vastes antécédents criminels et nombre d'entre eux faisant l'objet d'une probation ou d'une libération conditionnelle surveillée.
Les stratégies de dissuasion sont fondées sur des principes fondamentaux, comme les risques accrus pour les contrevenants, mais comprennent aussi de nouvelles façons de déployer les outils de répression traditionnels et novateurs, notamment la communication d'incitatifs et de facteurs de dissuasion directement aux contrevenants ciblés. Les produits de recherche qui documentent ces réseaux sociaux à risque et les comportements violents de groupes particuliers sont très utiles pour maintenir ces stratégies dans des territoires donnés.
En collaboration avec BRIC, nous avons élaboré les fiches de pointage des fusillades pour orienter la mise en œuvre de l'opération Ceasefire . Essentiellement, cette fiche sert à classer les groupes criminels selon la fréquence des fusillades commises et le nombre de leurs membres qui sont victimes d'une fusillade durant une période donnée.
Les fiches de pointage, surtout lorsque étayées par un système de responsabilisation des cadres (réunions du groupe de travail Ceasefire et séances générales de Compstat ), peuvent s'avérer très utiles pour faire en sorte que les groupes les plus actifs en matière de violence armée, et les groupes qui récidivent après la diffusion du message de dissuasion, soient la cible des mesures de répression voulues.
Les fiches de pointage font que les partenaires de répression continuent de cibler les groupes à risque et d'appliquer la stratégie de dissuasion ciblée. On a utilisé les données de ces fiches pour procéder à une évaluation quasi-expérimentale rigoureuse; celle-ci a révélé que la stratégie Ceasefire renouvelée a permis de réduire de 31 p. 100 les fusillades impliquant les gangs ciblés par rapport aux fusillades impliquant des gangs non ciblés, mais tout aussi violents.
Conclusion
L'initiative de Boston semble indiquer que les services de police tirent des avantages tangibles de l'intégration d'un criminologue à leur personnel. L'idée d'y affecter un spécialiste qui travaillera aux côtés de praticiens à des initiatives particulières et en tant que ressource générale pour aborder un éventail de problèmes représente une évolution des partenariats traditionnels des universitaires avec les policiers, qui se limitent habituellement à des projets spéciaux pour des périodes très brèves.
En collaboration étroite avec des membres assermentés et des employés civils, le criminologue peut rehausser la capacité du service à comprendre la nature des problèmes criminels et à élaborer des programmes de prévention novateurs.
Soulignons ici que l'intégration d'un criminologue n'est pas en soi une panacée permettant de résoudre les défis multidimensionnels auxquels font face les services de police. Il s'agit plutôt d'inviter un spécialiste à occuper un poste permanent afin de profiter d'un ensemble de compétences que ne possèdent pas les autres membres du corps policier pour mieux comprendre et résoudre les problèmes criminels.
Titulaire de la chaire Don M. Gottfreson, Anthony A. Braga est professeur de criminologie axée sur la preuve à l'École de justice pénale à l'Université Rutgers, et chercheur supérieur au programme de gestion et de politiques en justice pénale à l'Université Harvard.