« Ne pas savoir ce qui est arrivé à un être cher constitue un poids accablant souvent accompagné par le sentiment constant que davantage pourrait être fait pour tenter de le retrouver », a fait valoir Sue O'Sullivan, ombudsman fédérale des victimes d'actes criminels, devant le Comité permanent de la sécurité publique et nationale.
Des plus de 60 000 personnes portées disparues au Canada chaque année, environ 85 p. 100 sont trouvées au bout d'une semaine, mais de 300 à 400 s'ajoutent à la liste des cas non élucidés.
Le Canada compte actuellement plus de 6 000 dossiers qui sont ouverts depuis au moins un an et que les enquêteurs ne par-viennent pas à clore malgré tout leur travail. Chacun des milliers de disparus en cause est désespérément recherché par quelqu'un pour qui le poids des questions sans réponse vient exacerber la douleur d'avoir perdu un proche.
Ces 10 dernières années, l'idée de créer un programme national mettant l'ADN au service des enquêtes sur les personnes disparues a reçu un solide appui de la population, du milieu policier, des groupes d'aide aux victimes, des parlementaires et de divers ordres de gouvernement. Les nouveaux fichiers de profils génétiques que lancera la GRC d'ici le printemps 2017 faciliteront ces enquêtes et celles qui visent des restes non identifiés. Ils renforceront aussi le soutien qu'offre la Banque nationale de données génétiques (BNDG) de la GRC aux enquêtes criminelles dans tout le pays.
En décembre 2014, le Parlement a adopté une version modifiée de la Loi sur l'identification par les empreintes génétiques (LIEG) autorisant de nouvelles façons d'utiliser l'ADN au Canada, notamment dans les cas de personnes disparues. L'entrée en vigueur de cette loi permettra la création de cinq nouveaux fichiers dans la BNDG.
Un outil essentiel
Depuis la création de la BNDG en 2000, l'analyse génétique a changé la conduite des enquêtes criminelles et a pris une place prépondérante dans l'arsenal des policiers et des procureurs. Au 31 mars 2015, elle avait aidé à mener à bonne fin 34 495 enquêtes, dont 2 368 sur des meurtres et 4 157 sur des agressions sexuelles.
La BNDG compte actuellement deux fichiers :
- le Fichier des condamnés, qui contient plus de 300 000 profils génétiques de contrevenants reconnus coupables d'une infraction désignée;
- le Fichier de criminalistique, qui contient plus de 100 000 profils génétiques de provenance inconnue, tirés de matières biologiques recueillies sur des lieux de crime.
Par la comparaison des profils contenus dans ces deux fichiers et l'obtention de correspondances génétiques, la BNDG facilite le travail de la police en établissant des liens avec des crimes pour lesquels il n'y a aucun suspect, en identifiant ou en éliminant des suspects et en aidant à déterminer si plusieurs crimes peuvent être l'œuvre d'une seule personne.
Aussi efficace qu'elle se soit avérée à cet égard, la LIEG ne permettait pas d'utiliser des profils génétiques dans le cadre d'enquêtes canadiennes visant des personnes disparues ou des restes non identifiés, bien que certaines provinces et certains territoires l'aient fait de façon limitée.
Les enquêtes sur les personnes disparues
La GRC a mis sur pied le Centre national pour les personnes disparues et les restes non identifiés (CNPDRN) en 2010 pour assurer des services spécialisés de soutien aux enquêtes et une analyse comparative accrue entre territoires de compétence et entre organismes. Avec la modification de la LIEG, le CNPDRN pourra faciliter l'accès à la BNDG pour offrir de nouveaux outils aux services de police, aux coroners et aux médecins légistes.
Lorsque la loi modifiée prendra effet, la BNDG sera dotée d'une application humanitaire constituée de trois nouveaux fichiers : un pour les personnes disparues, un pour leurs familles et un pour les restes humains.
Le Fichier des personnes disparues (FPD) contiendra les profils génétiques établis à partir d'effets personnels appartenant à des personnes disparues (brosses à dents, vêtements, etc.).
Le Fichier des familles de personnes disparues (FFPD) contiendra les profils génétiques des proches parents de personnes disparues afin que celles-ci puissent être identifiées par l'analyse des indices de filiation génétique. L'ADN des membres de la famille est essentiel à l'application humanitaire de la BNDG, car il permet de confirmer que l'ADN prélevé sur les effets personnels d'un disparu vient bien de cette personne, et aussi de faire une analyse des indices de filiation pour identifier des restes humains dans les cas où il est impossible d'établir le profil génétique d'un disparu à partir de ses effets personnels.
Le Fichier des restes humains (FRH) contiendra les profils génétiques tirés de restes humains partiels ou complets après leur découverte. Ces profils aideront à établir des liens avec d'autres dossiers et à déterminer si les restes sont ceux d'une personne disparue.
Les profils génétiques fournis par les services de police, les coroners et les médecins légistes seront comparés à ceux qui se trouvent dans le FPD, le FRH, le Fichier des condamnés et le Fichier de criminalistique dans l'espoir d'identifier les restes humains et d'élucider les cas de personnes disparues. Ils ne seront toutefois pas comparés aux profils du FFPD, qui peuvent seulement être comparés à ceux du FPD et du FRH.
La comparaison des profils du FPD et du FRH aux quelque 400 000 profils du Fichier des condamnés et du Fichier de criminalistique pourrait mener à de nouvelles pistes d'enquête concernant une personne disparue ou une infraction criminelle. Une correspondance ainsi obtenue pourrait servir à identifier des restes humains ou à déterminer qu'un disparu se trouvait sur les lieux d'un crime au moment où il a été commis, autant d'éléments pertinents qui auraient peut-être échappé aux enquêteurs autrement et qui pourraient les aider à élucider l'affaire.
Le soutien aux enquêtes criminelles
La loi modifiée permettra aussi à la BNDG de mieux soutenir les enquêtes criminelles grâce à la création de deux autres fichiers, dont le premier est le Fichier des victimes de crimes (FVC). Souvent, lorsqu'une personne est victime d'un crime violent, d'ordre sexuel par exemple, son ADN reste sur le délinquant, puis est retrouvé à d'autres endroits ou lieux de crime. En comparant l'ADN des victimes avec celui découvert sur les lieux de crime, les policiers pourraient rapidement identifier les criminels en série, établir des liens entre les affaires, et trouver des pistes d'enquête. Dans la mesure du possible, il faut obtenir le consentement des victimes pour que soit prélevé et utilisé un échantillon de leur ADN.
On créera aussi un Fichier d'exclusion (FE), qui servira aux applications criminelle et humanitaire de la BNDG. Il contiendra les profils tirés d'échantillons fournis volontairement dans le cadre d'une enquête et permettra ainsi l'élimination rapide des individus sans implication dans le crime. L'ADN offre une forte valeur discriminante et peut s'analyser à partir de traces infimes de matières biologiques, mais comme il se transfère facilement d'un endroit à l'autre, on obtient parfois des profils génétiques mixtes; par exemple, un échantillon peut contenir l'ADN d'un policier, s'il a été recueilli sur un lieu de crime, ou celui d'un colocataire, s'il vient d'un article appartenant à un disparu. Le Fichier volontaire aidera à éliminer ces intervenants.
L'accès aux nouveaux fichiers
Bien qu'elle ait déjà utilisé l'analyse génétique dans le cadre d'initiatives humanitaires ponctuelles, la GRC innove en créant un programme national permanent d'analyse génétique au soutien des enquêtes visant les personnes disparues, d'où la nécessité d'élaborer des politiques et des procédures à l'intention des policiers, des coroners et des médecins légistes.
À ce défi s'ajoutera celui d'obtenir la participation du secteur privé. La GRC n'effectuera pas elle-même les analyses génétiques permettant d'alimenter les nouveaux fichiers de l'application humanitaire, mais désignera des laboratoires privés qu'elle autorisera à transmettre des profils génétiques à la BNDG pour qu'ils soient versés au FPD, au FFPD et au FRH. Il incombera aux corps po-liciers, aux coroners et aux médecins légistes de faire analyser par ces laboratoires les pièces à conviction ou les restes humains recueillis dans l'exercice de leurs fonctions.
L'analyse génétique s'étant beaucoup perfectionnée au fil des dernières décennies, l'ADN peut désormais aider à élucider les cas de personnes disparues et de restes non identifiés. En adoptant les technologies et les pratiques exemplaires d'organismes dotés de programmes de typage génétique ciblant les cas de ce genre, aux États-Unis notamment, la GRC acceptera et comparera les profils issus de toutes les méthodes d'identification génétique, y compris l'analyse de l'ADN nucléaire, de l'ADN mitochondrial et des microsatellites du chromosome Y. Le CNPDRN collaborera étroitement avec les enquêteurs, les coroners et les médecins légistes afin de déterminer quels échantillons et procédés conviennent le mieux dans chaque dossier.
Pour accéder au FVC et au FE dans le cadre d'une enquête criminelle, les corps po-liciers feront appel à leur laboratoire judiciaire public, conformément aux pratiques établies. Comme il s'agit d'un programme nouveau pour la BNDG et pour les laboratoires judiciaires publics aussi, les politiques et les procédures à l'égard des demandes visant ces fichiers restent à définir.
Au cours des 18 prochains mois, la GRC travaillera à la mise en œuvre du programme :
- en élaborant des politiques et des procédures d'accès aux nouveaux outils;
- en dégageant des pratiques exemplaires pour aider les enquêteurs à reconnaître et à recueillir les échantillons et les éléments de preuve propices;
- en collaborant avec divers intervenants à l'établissement de règlements sur le consentement et la protection des renseignements personnels;
- en engageant et en formant des employés aux compétences scientifiques spécialisées pour faire la comparaison des profils génétiques de l'application humanitaire;
- en obtenant la participation des laboratoires du secteur privé et en menant des vérifications techniques en vue de la transmission de profils génétiques à la BNDG;
- en soutenant les laboratoires judiciaires publics dans l'utilisation des nouveaux fichiers de l'application criminelle.
L'utilité de l'ADN aux enquêtes criminelles n'est plus à démontrer. La constitution des nouveaux fichiers offrira aux policiers, aux coroners et aux médecins légistes un nouvel outil national pour mettre l'analyse génétique au service des enquêtes sur les personnes disparues et les restes non identifiés. Aux proches des victimes, elle offrira l'espoir renouvelé d'obtenir réponse à leurs questions.