Dans le sillage de la récession de 2008, l'incertitude et l'instabilité ont profondément marqué le profil actuel de la population active, en particulier en ce qui a trait à la rétention des policiers.
En raison de facteurs incontrôlables comme des pressions budgétaires et des différences générationnelles, les solutions potentielles, les décisions et les politiques concernant la gestion à long terme des corps de police sont déjouées et souvent rendues caduques par le comportement versatile de la main-d'œuvre disponible.
Étant donné l'incertitude touchant les intentions des employés, comment le chef d'un service de police peut-il à la fois gérer son effectif et planifier l'avenir de l'organisme?
Pour parler en images, le problème que constitue la rétention des employés est une « brèche » dans le « front » des effectifs par laquelle nombre d'employés s'échappent (renouvellement volontaire du personnel ou démission) ou sont évacués (renouvellement involontaire du personnel, congédiement) (Wilson et coll.).
De toutes récentes recherches montrent que la rotation de personnel diminuait la capacité des services de police à réprimer le crime (Hur) et, à plus long terme, nuisait à leur santé organisationnelle en risquant de paralyser la formation de la relève aux postes de direction (Haddad et coll.). Imputable à différents facteurs liés à la taille, à l'emplacement et à la structure du service de police, le bouleversement des cheminements de carrière causé par la rotation de personnel peut se répercuter sur l'ensemble de l'organisation (Wareham et coll.).
C'est pourquoi tout plan de gestion de l'effectif d'un organisme policier devrait comporter des stratégies de rétention du personnel. Le gestionnaire qui sait à quoi est due l'érosion de l'effectif est mieux à même de fixer les objectifs à long terme de l'organisme (Brunetto et coll.).
Plutôt que de « déficit de connaissance » en ce qui a trait à la rétention des policiers, il faudrait peut-être parler de « déficit d'innovation » au sujet des chefs et gestionnaires de police qui tentent de recourir aux outils déjà en place pour atténuer les incidences de l'érosion de l'effectif. Les gestionnaires de police savent, sur le terrain, naviguer en eaux troubles et s'adapter aux changements soudains, et ironiquement, la même énergie pourrait être employée pour contrer les effets des renouvellements de personnel.
Maintien des effectifs dans le contexte contemporain
Rares sont les études exhaustives sur le maintien des effectifs policiers, mais en croisant les données existantes avec les tendances observées dans la population active, on peut définir trois impératifs précis s'imposant aux services de police relativement à la rétention de leurs employés.
Selon les données du United States Bureau of Justice Statistics concernant la rétention des policiers, obtenues grâce au Census of State and Local Law Enforcement Agencies (2008), environ 7 p. 100 des membres des corps de police locaux et d'État des États-Unis ont, en 2008, quitté leur employeur de plein gré ou non. Ce chiffre était beaucoup plus élevé (20 p. 100) chez les organismes comptant dix policiers ou moins que chez ceux en comptant cinq cents ou plus (5 p. 100) (Reaves).
De plus, les départs à la retraite pour raisons non médicales semblent être la principale cause des rotations de personnel. En effet, l'attrition imputable à ces départs s'élève, chez les services de police d'État et les services de police locaux comptant cinq cents agents ou plus, à 52 p. 100 et à 41 p. 100, respectivement (Reaves).
Enfin, chez les organismes comptant moins de dix policiers, les démissions étaient la cause de 71 p. 100 des départs.
Tirées du dernier recensement visant les organismes policiers américains, mené juste avant que la récession ne grève le budget de ceux-ci, ces statistiques suggèrent que les facteurs dont il est discuté aujourd'hui étaient présents avant que n'éclate la dernière crise économique. On note que le désir d'être promu à un poste jugé plus intéressant (plus haut taux de départ dans les petits organismes que dans les grands) et la retraite prise par les employés les plus âgés (haut taux de départ imputable aux départs à la retraite pour raisons non médicales) influent sur la rétention.
Si l'on met ces chiffres en perspective avec les tendances relatives à la main-d'œuvre que les recherches récentes ont dégagées (Wilson et coll., Wilson et Heinonen), on arrive à cerner trois impératifs de base au chapitre de la conservation des effectifs policiers.
Retenir les talents – Beaucoup de choses ont été écrites sur le supposé « exode des cerveaux » résultant des rotations de personnel volontaires dans les organismes policiers (Orrick). Ce que l'on sait, c'est que dans le milieu policier, comme dans celui de l'enseignement ou des soins infirmiers, nombre d'employés exceptionnels s'en vont parce qu'ils croient trouver ailleurs de meilleures perspectives de carrière, une plus grande mobilité, un salaire plus élevé, des avantages sociaux plus généreux ou des installations et des équipements plus modernes (Wilson et coll.).
La perte d'employés exceptionnels peut avoir des incidences immédiates, comme un manque de personnel, ou lointaines, comme l'anémie d'une relève talentueuse aux postes de direction. On peut parler de « stagnation professionnelle » pour désigner la situation des employés hors pair qui, ne voyant aucune possibilité d'avancement ni de mobilité de carrière, décident de quitter leur emploi (Wilson et Heinonen).
Faire des dépenses intelligentes en matière de formation – Former un nouveau policier coûte très cher aux services de police, et le départ volontaire d'employés spécialement formés peut s'avérer très onéreux (Orrick).
Ce coût est d'abord financier, mais pas uniquement : entrent aussi en ligne de compte les heures-personnes que la formation requiert ainsi que le temps et l'énergie consacrés à la constitution d'un bassin de candidats, notamment sous la forme de campagnes de recrutement menées dans les collèges afin de rehausser le niveau d'instruction des postulants. Or, quand l'employé pour qui tant d'efforts ont été consentis quitte l'organisation, celle-ci doit en assumer à la fois le coût monétaire et les répercussions sur sa productivité (Wilson et coll.).
Préparer l'avenir – Les recherches récentes sur la gestion des effectifs se sont intéressées de près à l'« embauche d'éléments prometteurs ». Il s'agit, en bref, de passer d'un type d'embauche axé sur un ensemble fixe de savoir-faire ou de compétences à une pratique fondée sur d'autres indices de succès, par exemple l'aptitude à gérer des situations complexes et le sentiment que le métier choisi répond à une vocation (Fernandez-Araoz).
Bien qu'une telle transition ne soit pas sans risque, des qualités comme la motivation, la détermination et la capacité de surmonter des difficultés de façon inventive sont de plus en plus demandées dans le milieu policier. Il sera intéressant de voir les résultats de cette approche étant donné la génération montante de travailleurs valorisant la créativité, l'intuition et la collaboration, et ayant choisi le métier de policier. On sait que ces différences générationnelles ont mis en évidence l'importance de la gestion des effectifs policiers (Batts et coll., Orrick).
Ces trois impératifs posent d'intéressants défis aux chefs de police qui se soucient de l'évolution de leur effectif, et il n'y a que très peu de temps qu'on a commencé à avancer des pistes de solution viables pour relever ces défis.
Stratégies et mesures efficaces
À ce jour, peu de programmes destinés à maintenir les effectifs policiers ont fait l'objet d'une évaluation détaillée.
En 2008, 19 p. 100 des organismes policiers américains visés par le recensement susmentionné recouraient à des contrats de services, 65 p. 100 versaient une indemnité relative à l'uniforme, 55 p. 100 offraient des augmentations de salaire progressives, et 46 p. 100 autorisaient, à titre d'avantage accessoire, l'utilisation d'un véhicule de l'employeur pour rentrer chez eux.
Voilà de fructueuses stratégies de gestion de l'effectif, et leur emploi dans des secteurs comparables à celui de la police élargit l'éventail des mesures à la disposition des gestionnaires.
Votre organisme a-t-il relevé des besoins particuliers au chapitre de la rétention? Songez à l'utilité de la collecte et de l'analyse de données, des entrevues et enquêtes de fin d'emploi ainsi que des sondages sur l'ambiance de travail, entre autres mesures, pour savoir avec précision de quelle façon la rétention du personnel peut poser problème (Orrick, Wilson et coll.).
Votre organisme a-t-il repéré les employés susceptibles de partir? Connaître le profil de votre effectif peut vous apprendre une foule de choses, et les réponses données à des questions simples peuvent signaler d'éventuels problèmes d'attrition. Un retour aux études, la naissance d'un enfant, un divorce, une séparation, la nécessité de prendre soin de ses vieux parents, la retraite prochaine d'un conjoint ou le simple désir d'avoir un horaire plus souple – autant de signes indiquant qu'il serait peut-être opportun de mener une action préventive (Wilson et coll.).
Votre organisme a-t-il paré à des problèmes de rétention grâce à un recrutement inventif? Des stratégies liminaires comme le recours à un centre d'évaluation, l'embauche de candidats déjà formés ou diplômés, le jumelage profes-
sionnel et la présentation réaliste du travail offert sont apparues, dans d'autres secteurs, comme des moyens de prévenir les rotations de personnel (Wilson et coll.). Donner aux employés une idée réaliste de leur future carrière au sein de votre organisme peut, à long terme, avoir pour résultat de renforcer leur engagement.
Votre organisme a-t-il bien soupesé les avantages et inconvénients des contrats de services? De nos jours, les travailleurs valorisent la souplesse professionnelle. Les contrats de services protègent l'investissement financier de l'organisme, mais accréditent l'idée que celui-ci offre moins de souplesse et de mobilité (Orrick). Réfléchissez au message qu'une telle pratique envoie à long terme aux éventuels employés : elle pourrait bien entraver la formation d'un lien de confiance entre votre organisme et son personnel.
Votre organisme a-t-il créé un répertoire d'exigences qui va au-delà des compétences policières traditionnelles? Bien souvent, les qualités recherchées chez les candidats à une promotion – p. ex. intuition, créativité, faculté de se fixer des objectifs et aptitude à tirer parti des critiques – sont présentes chez les nouveaux employés, mais ne sont pas évaluées comme telles.
Nos pratiques d'embauche font souvent référence à des habiletés et compétences très précises sans tenir compte de la complexité des tâches policières ni de la capacité des postulants à les accomplir. Songez donc à créer un répertoire de compétences qui reflète le potentiel de chaque employé et à trouver des moyens d'engager des personnes qui possèdent les qualités de chef que votre organisme veut promouvoir. Instaurer une culture organisationnelle qui favorise le développement de ces qualités chez tous les employés aura pour effet de stimuler les attentes et de faire de votre organisme un lieu où l'on a envie de travailler… et de rester.
Professeur adjoint à la School of Criminal Justice de la University of Southern Mississippi, Charlie Scheer se spécialise dans l'étude des modes de gestion des effectifs policiers, de la formation policière et le développement organisationnel. Il a été shérif adjoint avant d'entreprendre sa carrière universitaire. Il a publié des études sur le recrutement et les stratégies de rétention de la police ainsi que sur la responsabilité civile de la police, et il est l'auteur d'une évaluation nationale des capacités de formation de la police.
Références
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BRUNETTO, Yvonne, TEO, Steven T.T., SHACKLOCK, Kate, et FARR-WHARTON, Rod. 2012. « Emotional Intelligence, Job Satisfaction, Well-Being, and Engagement: Explaining Organisational Commitment and Turnover Intentions in Policing », Human Resource Management Journal, vol. 22, no 4, p. 428-441.
FERNANDEZ-ARAOZ, Claudio .2014. It's Not the How or the What but the Who: Succeed by Surrounding Yourself With the Best, Boston (Mass.), Harvard University Press.
GREENE, Jack R. 2014. « New Directions in Policing: Balancing Prediction and Meaning in Police Research », Justice Quarterly, vol. 31, no° 2, p. 193-228.
HADDAD, Abigail, GIGLIO, Kate, KELLER, Kirsten M., et LIM, Nelson. 2012. Increasing Organizational Diversity in 21st Century Policing: Lessons From the U.S. Military, Santa Monica (Cal.), RAND Corporation.
HUR, Yongbeom. 2013. « Turnover, Voluntary Turnover, and Organizational Performance: Evidence from Municipal Police Departments », Public Administration Quarterly, vol. 37, no° 1, p. 3-35.
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WILSON, Jeremy M., et HEINONEN, Justin. 2012. « Police Workforce Structures: Cohorts, the Economy, and Organizational Performance », Police Quarterly, vol. 15, no° 3, p. 283-307.