À l'occasion du 150e anniversaire de la GRC, la Gazette a demandé à une policière et à un policier de parler de leur carrière et de leurs aspirations pour l'organisation. Le caporal à la retraite Clarence Bodden, 72 ans, est entré à la GRC il y a plus de 50 ans. Il fut la deuxième recrue noire à une époque où l'organisation n'admettait que des hommes dans la filière policière et où presque tous étaient blancs. La gendarme Sahar Manochehri s'est, elle, engagée en 2020, à 46 ans. Elle travaille actuellement à Burnaby (C.-B.).
Écoutons-les nous livrer leurs impressions.
- Pourquoi avez-vous choisi d'entrer à la GRC?
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Caporal Bodden : J'explorais les possibilités de carrière qui s'offraient à moi. J'avais côtoyé des membres du Détachement rural de Yarmouth (N.-É.) pendant toute mon adolescence; ils venaient jouer avec nous au football. J'avais un bon contact avec eux et ils m'ont beaucoup encouragé à postuler. Le 14 octobre 1970, j'ai sauté dans la voiture pour me rendre à la Division Dépôt et j'ai commencé ma formation cinq jours plus tard. J'ai eu 21 ans durant celle-ci.
Gendarme Manochehri : Ma famille a immigré au Canada en provenance d'Iran en 1986. J'ai découvert la GRC par l'entremise de l'agent de liaison qui venait dans notre école à North Vancouver. Le voir interagir avec les élèves a piqué ma curiosité. Puis je me suis passionnée pour l'institution.
J'ai postulé une première fois en 2007, mais n'ai pas été acceptée. Je me suis donc mise à travailler dans le domaine de la sécurité tout en traduisant bénévolement le persan pour la GRC à North Vancouver. Puis, j'ai de nouveau essuyé un échec à ma deuxième tentative; je commençais à me dire que je n'étais peut-être pas faite pour ça. Ce n'est qu'à mon troisième essai, en 2019, encouragée par mon mari qui est policier à la GRC, que j'ai finalement été admise. J'ai toujours voulu faire carrière à la GRC, donc je n'ai pas postulé ailleurs. Je n'arrivais pas à renoncer à mon rêve.
- Quel a été votre premier lieu d'affectation?
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Caporal Bodden : Ma première affectation m'a amené à Sherwood Park (Alb.). Je me suis dit « il y a beaucoup de gens ici; tâche d'apprendre d'eux. Choisis ce qui est bon et laisse tomber le reste ». C'était un endroit où il faisait bon travailler et la GRC y était respectée. Les célibataires dont je faisais partie passaient une grande partie de leur temps libre ensemble au détachement, et bien sûr nous travaillions pendant les vacances pour que nos collègues mariés puissent être avec leur famille.
Gendarme Manochehri : J'ai d'abord été affectée à Burnaby (C.-B.). On apprend beaucoup de choses à la Division Dépôt, mais on en découvre davantage sur le terrain. Certaines gens sont favorables à la police et nous donnent envie de nous dépasser. D'autres sont hostiles, ce qui nous oblige à nous adapter aux comportements et aux situations.
- Parlez-nous d'un moment fort de votre carrière…
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Caporal Bodden : Il y en a eu beaucoup et pour différentes raisons. Mais il y a ce premier cambriolage sur lequel j'ai enquêté et où j'ai pu rendre à la victime les biens qui lui avaient été dérobés; c'était à Dartmouth (N.-É.), au milieu des années 1970. C'est rare qu'on puisse faire ça! J'ai gardé la lettre de remerciements que m'a adressée la victime. Cela a influé sur la manière dont j'ai travaillé auprès des victimes de crimes par la suite. Tous ces gens étaient non seulement heureux de récupérer leurs biens, mais aussi de la manière dont je les traitais. La façon dont on interagit avec les gens compte vraiment.
Gendarme Manochehri : C'est bon de savoir qu'on a aidé quelqu'un, en effet. J'ai grandi dans un milieu où aider fait partie du quotidien. J'adore aider et je le fais volontiers dans mon travail et dans ma vie personnelle. Un policier a été tué dans l'exercice de ses fonctions ici l'an dernier et ça m'a beaucoup remuée. Quand ça s'est produit, des gens que j'avais aidés m'ont demandé par courriel si j'allais bien. Qu'ils se soucient ainsi de moi signifie peut-être que j'ai bien agi avec eux. Et à travers moi, j'espère qu'ils ont aussi une bonne image de la GRC.
- Avez-vous connu des moments particulièrement difficiles?
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Caporal Bodden : Oui, notamment un dont je me souviens distinctement. J'étais responsable du Détachement de Beiseker (Alb.). À un moment dans les années 1990, ce détachement de quatre personnes n'en comptait plus que deux. Ça peut sembler peu deux postes vacants, mais en réalité ça ampute l'effectif de 50 %. C'était une période très occupée et stressante. Il y a eu des moments où, honnêtement, la sonnerie du téléphone à la maison m'exaspérait. Mais, il fallait continuer à servir la population. Je me souviens avoir envoyé une note de service au QG, après avoir travaillé plusieurs jours d'affilée, pour avertir que je prenais congé le week-end. Ils se sont finalement débrouillés pour me trouver un remplaçant.
Gendarme Manochehri : Je continue d'apprendre les ficelles du métier. Par exemple, lorsqu'on intervient auprès d'une personne qui a perdu un être cher, j'y pense en rentrant chez moi. Je me dis que j'aurais peut-être pu en faire plus. Je dois donc apprendre à me distancer des événements. On doit garder son sang-froid pour faire son travail correctement, mais en même temps on sent ce pincement au cœur parce qu'on ne peut pas aider tout le monde, et c'est difficile pour moi.
- Caporal Bodden, lorsque vous êtes entré à la GRC, presque tous les policiers étaient des hommes blancs. Vous considérez-vous comme un pionnier?
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Caporal Bodden : Je n'y ai pas vraiment pensé à l'époque. J'étais noir et c'est tout. Si j'étais le premier policier noir de la GRC que les gens voyaient, ça ne signifie pas pour autant qu'il n'y en avait pas ailleurs. En y repensant, je crois que mes supérieurs veillaient à ce que je sois bien traité. Peut-être ai-je inspiré d'autres personnes. Au fil des ans, des gens m'ont dit : « Je me suis inscrit parce que je vous ai vu ». Récemment, un groupe de jeunes Noirs de la Nouvelle-Écosse m'a remercié d'être une source d'inspiration, non seulement pour avoir été policier à la GRC, mais aussi parce que je suis la preuve qu'on peut tout accomplir à condition de vouloir. Ça me fait plaisir de savoir que j'ai pu influencer des gens de manière positive. Je ne me suis jamais vraiment vu comme un pionnier ou un modèle, mais mes enfants me disent constamment que je le suis.
- Gendarme Manochehri, quelle sorte de legs souhaitez-vous laisser?
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Gendarme Manochehri : J'ai grandi dans une famille iranienne très conservatrice; qui pensait qu'une femme doit être mère, s'occuper de ses enfants et rester à la maison; mes parents ne partageaient donc pas vraiment mon intérêt pour la police. Je voudrais montrer aux femmes et aux jeunes filles que tout est possible quand on travaille fort et qu'on croit en soi. J'aimerais aussi que l'on retienne que j'ai servi la communauté au mieux de mes capacités, que j'ai traité tout le monde avec respect et que j'ai contribué à changer les choses en mieux.
- Que peut faire la GRC pour mieux attirer les candidats et garder nos recrues?
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Caporal Bodden : Je pense que nous devrions davantage témoigner de notre expérience. La GRC fait du bon travail, mais on n'en entend pas assez parler. Il faut aussi que chacun se sente à l'aise de postuler et accueilli dans l'organisation. Quant aux recrues, il faut bien les entourer.
Gendarme Manochehri : Je suis totalement d'accord. Les policiers font beaucoup de bonnes choses, et nous devrions en parler davantage. Cependant, c'est un métier difficile qui n'est pas fait pour tout le monde. Il faut aussi faire preuve de compassion et vouloir aider les autres.
- Quels conseils donneriez-vous aux personnes qui envisagent une carrière policière à la GRC?
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Caporal Bodden : Discutez avec des gens qui travaillent à la GRC; ils vous donneront l'heure juste!
Gendarme Manochehri : Tout à fait. Je conseille aux personnes intéressées par notre métier de faire des recherches, de parler à des policiers d'expérience et de se renseigner sur tous les aspects du travail. Est-ce que je recommanderais la GRC? Sans hésitation! Je suis fière d'en faire partie.