Appelée à intervenir auprès d'un homme effondré sur la table d'un restaurant, la gend. Dawn Adams de la GRC a tout fait dans les règles.
Elle l'a réveillé, lui a posé des questions et fait vider ses poches. En déposant ses effets sur la table, l'homme a laissé tomber par terre un bout de papier plié — délibérément, a-t-il semblé à la gend. Adams. Elle l'a ramassé et déplié et un nuage de poudre blanche l'a enveloppée.
Aussitôt, la gend. Adams s'est trouvée étourdie, nauséeuse, faible. « Je me suis sentie dépassée et vulnérable. Comme poli-cier, vous ne voulez pas vous sentir comme ça, parce que vous n'êtes plus en contrôle », admet celle qui travaille à Kelowna, en C.-B.
Il s'agissait de fentanyl, un opioïde
100 fois plus puissant que la morphine. À l'état pur, deux milligrammes suffisent pour tuer un adulte — l'équivalent de quelques grains de sel.
Peu après l'incident, la GRC a publié une vidéo destinée à informer les premiers intervenants et la population des dangers du fentanyl. L'histoire de la gend. Adams y est racontée.
Le commissaire de la GRC Bob Paulson ne doute pas de la gravité du danger du fentanyl. « On ne saurait trop insister sur les dangers que cette drogue constitue pour tous les Canadiens. Elle se répand partout au pays, semant derrière elle la misère et la mort. Les premiers intervenants doivent savoir que le seul fait d'en être proche peut les rendre malades, sinon pire. »
La vidéo était une première étape. À l'automne, la GRC a lancé une formation sur l'utilisation de la naloxone, un antidote aux opioïdes, dont elle a distribué des trousses à ses membres, partout au pays.
La gend. Adams connaît l'antidote de première main, ayant été traitée sur place par les ambulanciers. Elle s'est sentie mieux immédiatement. Quand elle a eu vent de la formation et des trousses, elle savait à quel point elles étaient importantes.
« La criminalité, les criminels, le milieu de la drogue, tout ça évolue constamment, observe-t-elle. Pour notre sécurité et pour rentrer à la maison à la fin de la journée, nous devons nous tenir au courant. C'est vital. »
Menace de mort
Le serg. Luc Chicoine, coordonnateur national du Programme antidrogue de la GRC, et Bruce Christianson, directeur à la Sécurité au travail, planchent depuis plus d'un an sur la formation sur le fentanyl. C'est le dossier qui occupe le plus clair de leur temps.
« Il y a une vague de gens avides d'une nouvelle expérience, constate le serg. Chicoine. Nous nous attendons cette année à plus de 1 000 décès dus au fentanyl au Canada. Cette drogue tue. »
La formation sur l'utilisation de la naloxone se donne en ligne en 30 minutes. On apprend à reconnaître les signes et symptômes d'une exposition à un opioïde et à y réagir. On voit les mesures à prendre avant d'administrer la naloxone, comment le faire, quels sont ses effets secondaires et comment les atténuer.
On a aussi distribué aux membres de la GRC des lignes directrices sur la manière de manipuler le médicament. Le matériel de formation est offert à tous les services de police canadiens par l'entremise du site Web du Réseau canadien du savoir policier.
Si la naloxone contre les effets d'une surdose en quelques minutes, en confier aux policiers n'était pourtant qu'une première étape. « Ce n'est qu'une solution temporaire, reconnaît le serg. Chicoine. Il fallait le faire pour la sécurité publique, mais maintenant il faut trouver comment manipuler le fentanyl quand l'enquête commence. »
Le Programme antidrogue examine toutes les facettes du problème : comment identifier une poudre blanche — en craignant le pire, selon M. Christianson —, puis comment saisir, gérer et entreposer la substance.
« Ce qui rend l'affaire très compliquée, c'est que la contamination ne prend qu'une minute. Mais on s'en occupe, on se pose toutes les questions », rassure le serg. Chicoine.
Crise en cours
Le fentanyl n'est pas le seul danger qui gagne en fréquence pour la police. Elle reçoit aussi de plus en plus d'appels pour intervenir auprès de gens en crise psychologique.
La cap. Cara Thomson, agente de liaison avec les professionnels en santé mentale au Dét. de Ridge Meadows, en C.-B., explique combien le rôle des policiers est critique dans de telles interventions.
« Ce sont des histoires qui pourraient mal virer. Nous devons bien connaître ces situations et savoir travailler efficacement avec les gens aux prises avec un problème de santé mentale. »
Un nouveau cours en ligne, Intervention et désamorçage en cas de crise (IDC), est obligatoire et aidera les policiers qui doivent composer avec une telle situation.
Le cours a été élaboré en 2012 pour les policiers de C.-B., conformément aux recommandations de la commission Braidwood qui a enquêté sur le décès de Robert Dziekanski.
Lorsque les Services de police contractuels et autochtones de la GRC ont eu à élaborer un cours national sur l'intervention et le désamorçage en cas de crise, ils ont adapté le cours en ligne de la C.-B. et l'ont mis à la disposition de tous les employés de la GRC en septembre.
La gend. Lara Davidsen, coordonnatrice de l'IDC pour la GRC en C.-B., croit que la formation outille bien les policiers pour répondre aux besoins changeants de la population.
« La formation de l'IDC procure aux membres d'autres compétences pour reconnaître une personne en crise et communiquer efficacement avec elle, estime la gend. Davidsen. Prendre le temps de parler avec une personne en crise, de la calmer et d'établir un rapport avec elle conduit souvent à une issue satisfaisante pour toutes les parties. »
Après avoir suivi la formation il y a quelques années, la cap. Thomson se sou-vient d'avoir répondu à un appel concernant un homme armé d'un couteau. Il était visiblement en détresse et fulminait.
Arrivée sur les lieux, la cap. Thomson a pris son temps et a parlé au type de loin.
« Ils ne vont à peu près jamais laisser tomber leur arme la première fois que vous le leur demandez », indique-t-elle.
Dans la formation à l'IDC, on parle des troubles de santé mentale, et on explique qu'il faut parler et prendre le temps d'évaluer la situation, et c'est précisément ce qu'elle a fait. « J'ai parlé, parlé, rappelle-t-elle. J'ai mis à profit les techniques de désescalade, et il a fini par poser son couteau. »
À son poste, la cap. Thompson répond tous les jours à des appels liés à la détresse psychologique. Elle constate une amélioration de la façon dont les policiers réagissent aux gens en crise depuis que le cours est devenu obligatoire en C.-B.
« On semble mieux comprendre qu'une personne puisse avoir des problèmes de santé mentale. On en fait un peu plus, on parle plus, on prend plus de temps pour évaluer la personne avant de boucler l'appel en la conduisant à l'hôpital », constate la cap. Thomson.
La gend. Davidsen, la cap. Thomson et d'autres experts en la matière travaillent avec les Services de formation à un nouveau cours avancé d'intervention en situation de crise en santé mentale qui ira plus loin que la formation de l'IDC offerte aux policiers de la GRC en C.-B. « Le cours s'adressera aux policiers aux services généraux intéressés à en apprendre plus sur la santé mentale, ajoute la cap. Thomson. Nous essayons constamment d'améliorer le service. »
Souci d'innovation
L'apprentissage ne doit cependant pas passer que par la formation – les policiers doivent aussi profiter de ce que leur offre notre monde moderne.
En 2010, alors membre de l'équipe de reconstitution des collisions en Saskatchewan, le s.é.-m. David Domoney a cru à l'utilité du système d'aéronef télépiloté (SATP) pour prendre des photos aériennes des lieux d'une collision. Il s'est dit que la technologie serait particulièrement utile en milieu rural, où on n'a pas accès à une échelle de pompier. Il a préparé une analyse de rentabilisation, une étude de faisabilité et il a fait l'acquisition d'un SATP.
« Nous avons vite saisi que les données ainsi recueillies se rentabilisaient et limitaient les risques pour nos membres et pour la population », souligne le s.é.-m. Domoney.
Les SATP n'ont pas tardé à être utilisés à d'autres fins policières : lieux de crimes graves, déploiement d'un groupe tactique d'intervention, recherche et sauvetage.
En 2013, c'est grâce à un SATP qu'on a pu localiser un Saskatchewanais qui avait été blessé dans un accident n'impliquant qu'un seul véhicule.
Les premiers intervenants ne trouvaient pas l'homme, qui s'était éloigné du lieu de l'accident. Le cap. Doug Green a monté un appareil détecteur de chaleur à un SATP et l'a fait voler au-dessus du secteur. Il a trouvé l'homme à trois kilomètres du lieu de l'accident.
Maintenant exposé au musée Smithsonian National Air and Space en Virginie, ce SATP serait le premier à avoir permis de sauver une vie en mission de recherche et sauvetage.
Le s.é.-m. Domoney est maintenant le coordonnateur national du service des SATP à la DG de la GRC à Ottawa. Il supervise la politique nationale, la normalisation de l'équipement, la formation et les opérations en lien avec la technologie.
La GRC a récemment mis au point sa propre formation nationale au sol sur l'utilisation des SATP. Selon le s.é.-m. Domoney, il n'y a pas que les policiers qui peuvent devenir pilotes de SATP; les membres civils et les employés de la fonction publique le peuvent aussi.
On enseigne les rudiments des SATP, y compris la théorie générale, les règles et la planification du vol, la gestion de l'espace aérien et les modèles météo.
« Nous avons commencé avec un seul SATP en décembre 2010 et nous en avons aujourd'hui 160 dans tout le pays, rappelle le s.é.-m. Domoney. Tout simplement, c'est la flotte de SATP la plus importante consacrée à la sécurité publique dans le monde. »
La technologie ne cessant de s'améliorer, le s.é.-m. Domoney prédit qu'on trouvera encore une foule d'autres façons d'utiliser les SATP à la GRC.
« Nous travaillerons bientôt sur di-vers projets qui accroîtront notre capacité d'enquête, estime le s.é.-m. Domoney. Avec les SATP, le ciel est à nous. »