Vol. 76, Nº 4Reportages externes

Quel est votre plan en cas de pandémie?

De nombreux éléments doivent être pris en considération

En décembre 1918, les policiers de Seattle ont effectué des patrouilles dans les rues pour assurer la sécurité du public et étaient obligés de porter des masques pendant la pandémie de grippe. Crédit : National Archives at College Park (Maryland)

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Un prêtre se prépare à célébrer la messe du samedi soir. Des adolescents jouent au hockey sur une patinoire. Trois hommes en complet s'apprêtent à monter à bord d'un autobus.

Pendant une pandémie, ces activités en apparence inoffensives pourraient être illégales.

Quand la grippe espagnole a frappé le Canada entre 1918 et 1920, les autorités locales de la santé ont ordonné la fermeture des écoles, des salles de cinéma, des églises et d'autres lieux publics, dont les patinoires, et comptaient sur les policiers pour faire respecter leurs ordres. Si des décisions semblables devaient être prises aujourd'hui, ce qui est prévu en cas de pandémie, le prêtre et les jeunes joueurs de hockey seraient en train d'enfreindre la loi.

En 1918, certaines provinces, dont l'Alberta, ont obligé les gens à porter des masques. Ceux qui n'obéissaient pas à cette règle devaient se présenter devant un juge et payer une amende. S'ils ne portaient pas de masque, les hommes en complet seraient eux aussi des hors-la-loi.

Les éclosions de maladies graves très contagieuses comme la grippe aviaire, le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) et le virus Ebola, qui cause actuellement des ravages en Afrique occidentale, peuvent amener la police à prendre des mesures extraordinaires.

Au moment d'élaborer des plans en cas de pandémie, les services de police doivent être au fait des autorités compétentes et s'assurer que les raisons de la prise de mesures extraordinaires — et les conséquences du non-respect des règles — seront bien expliquées à la population. En situation d'urgence, il faut absolument éviter que les citoyens résistent à des ordres qui n'auraient pas été bien expliqués.

L'application des règlements municipaux ne serait toutefois pas le seul défi pour les policiers.

Tenir compte des risques

Quand un policier entre dans une maison où quelqu'un est décédé d'une maladie contagieuse, il pourrait l'attraper des personnes qui y vivent, puis transmettre le virus à sa famille. Et contrairement à la grippe saisonnière, une pandémie frappe les jeunes adultes en santé. De nombreux policiers patrouilleurs font partie du groupe d'âge le plus à risque.

Ce scénario peut très bien se concrétiser. Selon le Plan canadien de lutte contre la pandémie d'influenza, si le taux de décès monte en flèche, le personnel des services médicaux d'urgence, les infirmières et les policiers doivent signaler les décès. Les policiers pourraient donc devoir entrer dans les résidences où des décès sont survenus. Or, le plan n'est pas clair à ce sujet.

Un rapport produit en 2009 pour le ministère de la Justice des États-Unis avec l'aide de deux policiers canadiens (Alain Bernard d'Ottawa et Tom Imrie de Toronto) a révélé que bon nombre de plans en cas de pandémie peuvent avoir été rédigés sans consulter les organismes d'application de la loi, et que certaines fonctions et responsabilités attribuées aux policiers ne sont peut-être pas réalistes. Cette conclusion devrait préoccuper tous les policiers canadiens.

Le SRAS est apparu à Toronto en mars 2003 sans avertir. Les policiers qui sont intervenus dans la résidence où le premier cas a été signalé n'étaient pas conscients du danger. Dès qu'on en a saisi toute l'ampleur, le Service de police de Toronto (SPT) a retrouvé tous les policiers qui avaient pu être exposés au virus, et 307 policiers ont accepté d'être mis en quarantaine.

Pendant la crise du SRAS, les policiers devaient aussi assurer la sécurité dans les hôpitaux touchés. Le SPT a dû affecter des agents aux centres d'intervention d'urgence multiorganismes et renseigner son personnel au sujet des risques associés au SRAS, ce qu'il a fait au moyen d'une vidéo produite et présentée à tous les policiers en l'espace de 24 heures.

En général, les pandémies, contrairement au SRAS, sont précédées de certains signes. Mais elles peuvent se propager dans l'ensemble d'un pays en quelques jours, voire quelques heures, ce qui présente des défis de taille pour la police.

On estime que jusqu'à 40 p. 100 des agents en uniforme tomberaient malades ou seraient forcés de rester à la maison pour soigner leurs proches, ce qui équivaudrait à quatre ou cinq membres d'un détachement de 13 membres ou à 80 personnes dans un service de 200 employés.

Et l'urgence se produira à une échelle si grande qu'il n'y aura pas d'entraide.

Même en 1918 et en 1919, quand la grippe espagnole s'est propagée en dix jours d'un bout à l'autre du pays, l'entraide était extrêmement rare. Aujourd'hui, chaque communauté et service de police ou détachement devrait faire face à la crise au moyen de ses propres ressources, du moins ce qu'il en reste.

D'autres questions se poseraient également.

Les autorités de la santé pourraient décider de placarder d'avis les résidences de personnes ayant attrapé la grippe. Que feraient les policiers s'ils surprenaient un malade à l'épicerie?

Que ferait un policier, dans une région isolée, en présence d'une famille dont tous les membres sont tellement malades qu'ils ne peuvent pas prendre soin les uns des autres?

Et si la quantité de Tamiflu ou de vaccins était limitée? Les policiers devraient-ils recevoir les médicaments en priorité?

On doit se pencher sur toutes ces éventualités avant qu'une pandémie ne frappe pour que des politiques claires soient en place. Il faut avant tout établir des plans locaux, car les défis varieraient selon les collectivités. Chacune d'elles doit mettre au point ses propres solutions.

D'hier à aujourd'hui

Il pourrait être utile d'évaluer les mesures prises par les policiers en 1918 et 1919, alors qu'entre 30 000 et 50 000 Canadiens ont succombé à la grippe. Les données révèlent que la plupart des Canadiens respectaient les fermetures et les autres ordres.

Des propriétaires de cinémas en Ontario ont déclaré que leurs installations ne présentaient pas de risques pour la santé. À Amherst (N.-É.), un avocat a été engagé pour qu'une patinoire demeure ouverte. Les autorités ont écouté poliment les arguments, mais ont décidé de maintenir leur décision de fermer les deux endroits, et aucune intervention policière n'a été requise.

Bien que ces faits soient rassurants, il ne suffit pas de tirer des conclusions d'expériences antérieures.

Quand la grippe espagnole a frappé à l'automne 1918, le Canada était en guerre. Les gens étaient alors habitués aux décisions prises d'urgence. Des milliers de soldats canadiens mouraient en Europe; des milliers de femmes ont donc répondu à l'appel de volontaires pour soigner les malades, et certaines ont attrapé le virus et y ont succombé.

Quand une éclosion moins grave de grippe a eu lieu en 1920, la guerre était terminée, et l'esprit d'entraide ne régnait plus. Selon les autorités sanitaires de villes comme Calgary et Toronto, il était difficile de trouver des bénévoles pour soigner les malades.

Aujourd'hui, la situation serait aussi différente, et ce le serait aussi pour les services de police.

Les fermetures d'école forceraient les parents à trouver des personnes pour s'occuper de leurs enfants, ce qui pourrait s'avérer difficile surtout si ceux-ci sont malades. L'absence des parents au travail se répercuterait sur de nombreuses organisations, y compris les services de police.

Pendant l'épidémie de grippe espagnole, la plupart des personnes infectées n'avaient d'autre choix que de rester chez elles. Aujourd'hui, la plupart des Canadiens détiennent une assurance-hospitalisation. Selon le Plan canadien de lutte contre la pandémie, on suppose que les gens resteraient à la maison, mais cette hypothèse pourrait ne pas se confirmer.

Des planificateurs du ministère américain de la Justice estiment que les gens sont plus enclins à se rendre à l'hôpital aujourd'hui qu'en 1918. Ils prévoient que les malades se présenteront en grand nombre aux urgences et qu'ils seront fâchés parce qu'ils ne pourront être traités.

Si une pandémie comme celle de 1918 et de 1919 se reproduisait, on peut bien sûr supposer que les Canadiens admettraient la nécessité de mesures extraordinaires et qu'aucune intervention policière ne serait requise. Cela dit, il importe que les policiers revoient les plans locaux pour déterminer si leur rôle est réaliste compte tenu du fait qu'ils manqueraient assurément de personnel. Il serait aussi judicieux de s'assurer que les mesures que pourraient prendre d'autres services de police ne soient pas non plus irréalistes.

Bon nombre de ministères ont élaboré des plans en cas de pandémie, et le Centre de coordination de la préparation et des interventions opérationnelles de la GRC, créé en 2006, a conclu qu'en cas de pandémie (selon les scénarios décrits dans le présent article), les policiers seraient appelés à faire respecter les ordres liés à la santé publique (quarantaine, restrictions de voyage), à restreindre l'accès à certains secteurs, à transporter et protéger le matériel médical ou les médicaments, à protéger certaines installations et, dans le pire des cas, à maîtriser les foules.

Une pandémie ne constituerait pas seulement une urgence nationale : elle entraînerait des milliers d'urgences locales en même temps.

Les services et les détachements doivent être au fait des plans dans leur région pour s'assurer que les responsables de la santé joueraient un rôle adéquat et auraient les ressources nécessaires en cas de pandémie. Ils doivent savoir qui établit les règles et comment les décideurs envisagent de les faire appliquer et être prêts à expliquer clairement à leur personnel les mesures prévues de manière à ce que l'intervention soit uniforme. Ils doivent participer à toutes les communications sur la santé pour que le public ait des attentes raisonnables envers la police.

Les services de police doivent aussi avoir leur propre plan, qui prévoit des politiques sur les congés de maladie et de deuil ainsi que sur les soins personnels.

Depuis plus d'un demi-siècle, les recherches révèlent que les gens se comportent de façon rationnelle en situation d'urgence, surtout s'ils sont bien renseignés. Ces recherches portent toutefois surtout sur les comportements pendant des inondations, des séismes, des tornades et des déversements de produits chimiques, et non durant des pandémies. Si une autre pandémie survenait, on nagerait quelque peu dans l'inconnu.

Une pandémie pourrait-elle se produire? Selon les autorités de la santé, c'est une certitude, car elles surviennent tous les 25 ans, et l'étude du ministère américain de la Justice conclut que les répercussions sur la société et la police seraient énormes.

Joseph Scanlon est professeur émérite et directeur du groupe d'étude sur les communications d'urgence à l'Université Carleton. Il étudie les interventions individuelles et organisationnelles en situation d'urgence depuis 1970 et s'intéresse actuellement aux mesures prises par le Canada lors de la pandémie de grippe espagnole en 1918-1919. Il est un collaborateur de la Gazette.

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