Vol. 79, Nº 4À l'avant-scène

Policier menant un interrogatoire.

Profil d’un bon interrogateur de police

Importance de la personnalité et des compétences

Des chercheurs ont montré que deux traits de caractère – la minutie et l'extraversion – faisaient partie du profil d'un bon interrogateur de police. Crédit : Leann Parker, GRC

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L'interrogation des suspects est un outil essentiel au travail de la police et des procureurs publics. C'est parfois la seule avenue qui s'offre aux représentants de la loi qui tâchent de résoudre une affaire dans laquelle la preuve médicolégale fait défaut, n'existe plus ou a été détruite.

Comme le disait en 1972 le juge Edson Haines, de la Cour suprême de l'Ontario, de tels cas ne sont pas rares : « Bien souvent, les indices physiques font entièrement défaut. La seule façon de procéder est alors d'interroger le suspect et les personnes susceptibles de détenir des renseignements utiles. »

La recherche sur le terrain corrobore l'affirmation du juge Haines. En 1980, une étude a révélé que la preuve médicolégale é-tait absente ou négligeable dans 95 p. 100 des affaires intéressant la police anglaise, tandis qu'une étude datant de 1996 concluait que la criminalistique n'avait porté des fruits que pour 10 p. 100 des infractions sur lesquelles la police américaine faisait enquête.

Vu l'importance des éléments de preuve pouvant être recueillis lors des interrogatoires de police, il est certain que, eu égard à la sélection du personnel, une meilleure connaissance de ce qui fait un interrogateur habile et compétent contribuera à améliorer les interrogatoires des équipes d'enquête et à accroître le taux d'efficacité des services de police et la confiance du public.

L'étude présentée ici visait à définir le profil de l'interrogateur de police idéal. Trois types de mesure ont été employés à cette fin : une grille de personnalité, un outil d'évaluation de la compétence et un questionnaire ciblant la tendance au soupçon.

Personnalité

Cinq grands traits de caractère ont été mesurés sous cette rubrique :

  1. Ouverture – Fibre créatrice et artistique; un score remarquable à ce chapitre est l'indice d'un caractère original et non conventionnel, tandis qu'un piètre score reflète une personnalité ordinaire et peu compliquée.
  2. Minutie – Aptitude à s'appliquer et à s'investir; ceux chez qui ce trait est marqué sont attentifs et travailleurs, et ceux chez qui il est effacé sont négligents et paresseux.
  3. Échelle d'extraversion-introversion – Tendance à tout extérioriser versus celle à valoriser l'intériorité; à une extrémité, on a les gens exubérants et expressifs, et à l'autre, les gens timides et réservés.
  4. Amabilité – Vertus d'humanité et de compassion; qui s'illustre par cette qualité est serviable et sincère, qui en manque est querelleur et nuisible aux autres.
  5. Névrosisme – Stabilité émotionnelle; une note élevée signale une personne tourmentée et prompte à l'affolement, tandis qu'une note faible traduit un caractère calme et placide.

Compétence

L'outil d'évaluation des compétences me-surait cinq aspects :

  1. Application/ténacité – Propension à se montrer méthodique, attentif aux détails et capable d'un effort soutenu.
  2. Maîtrise de soi/non-réactivité – Capacité à endurer la pression et, parallèlement, à rester impassible dans des situations stressantes.
  3. Dominance/insistance – Propension à adopter un style autoritaire en pressant la personne interrogée de fournir des réponses.
  4. Communication – Aptitudes interpersonnelles et intelligence communicationnelle.
  5. Bienveillance – Propension à la douceur et à la cordialité.

Inclination au soupçon

Enfin, le questionnaire portant sur la méfiance mesurait le degré de suspicion manifesté par les interrogateurs. Le policier trop soupçonneux risque de prendre une remarque anodine du suspect pour une tentative de tromperie et ainsi d'être amené à solliciter agressivement des réponses à des questions qui ne débouchent nulle part. À l'inverse, le policier crédule qui accepte tels quels l'alibi ou la version des événements que lui présente le suspect risque de suspendre son examen minutieux des faits et de laisser échapper des éléments de preuve essentiels.

Une invitation a été adressée aux chefs de 22 services de police canadiens d'importance. Au total, 47 policiers actifs (40 hommes et 7 femmes) chargés de l'interrogation de suspects impliqués dans des crimes majeurs ont répondu à l'appel et rempli les trois questionnaires.

Pour la deuxième partie de la recherche, les participants devaient, durant six mois, classer leurs interrogatoires dans l'une ou l'autre des quatre catégories suivantes : le suspect a nié toutes les allégations, a reconnu certains faits incriminants, est passé aux aveux ou a été jugé innocent. Une cinquième possibilité – le suspect s'est muré dans un silence complet – a été laissée de côté pour les besoins de l'étude. Les participants ont ainsi indiqué l'issue de 162 interrogatoires effectués.

L'ensemble des données obtenues a fait l'objet d'une série d'analyses statistiques et permis de dégager les conclusions qui suivent.

Constatations

La recherche, la toute première en son genre, a conduit à quelques constatations intéressantes.

Primo, l'outil d'évaluation des compétences, élaboré à partir d'observations concernant des policiers néerlandais, puis validé par un échantillon comparable d'agents belges, s'est révélé également applicable aux policiers canadiens, par-delà les frontières culturelles et linguistiques.

Secundo, la grille de personnalité utilisée avec l'échantillon de Canadiens a livré des résultats qui concordent avec ceux obtenus par les chercheurs européens, ce qui en montre la fiabilité.

Tertio, l'outil de graduation de la méfiance, qui n'a jamais été employé conjointement avec les deux autres instruments de mesure, a fourni des résultats montrant que l'inclination au soupçon était en corrélation négative avec la compétence communicationnelle ainsi qu'avec la minutie et l'extraversion. Autrement dit, plus l'interrogateur était enclin au soupçon, moins il s'avérait minutieux et extraverti. Ces derniers traits de caractère jouent un rôle déterminant pour plusieurs aptitudes d'interrogation. La combinaison ici constatée semble qualifier un profil peu favorable à l'interrogateur qui souhaite établir une relation avec ceux qu'il interroge.

Si l'on se fie à notre échantillon, il appert que, dans l'ensemble, plus l'interrogateur se montre soupçonneux, moins il est compétent sur le plan communicationnel, et sans doute est-il peu habile à relever les indices signifiants. Les interrogateurs négligents et désorganisés qui ne possèdent pas de bonnes aptitudes à la communication sont plus susceptibles d'interpréter globalement les messages phatiques comme suspects et de leur attribuer un caractère trompeur.

Quarto, les policiers qui se distinguent par leur application/ténacité ont aussi tendance à être minutieux et émotionnellement stables. Ces sujets comptent parmi les meilleurs candidats en matière d'interrogatoire : ils sont méthodiques, attentifs aux détails, assidus et posés.

Enfin, l'association d'une forte maîtrise de soi/non-réactivité et d'une personnalité minutieuse, aimable et peu névrotique constitue aussi un profil désirable pour un enquêteur. Ceux chez qui cette compétence est poussée sont prédisposés à résister à la pression face à un individu rétif, à faire preuve de persévérance et à s'avérer fiables, patients, cordiaux et d'humeur égale.

Résumé

Savoir établir et maintenir une relation positive avec le suspect est l'un des éléments clés d'un interrogatoire fructueux. Bien qu'on ne dispose pas encore d'un profil de compétences et de qualités personnelles de l'interrogateur idéal, les services de police ont tout intérêt à tenir compte de l'état actuel de la recherche lors de la sélection de leur effectif d'enquêteurs. Il faudra répéter des études du même type avant de pouvoir avancer des conclusions solides et formuler des recommandations.

Les données recueillies sur les interrogatoires permettent toutefois d'esquisser des conclusions provisoires. Une analyse statistique a révélé que dans 24 p. 100 des cas, la variation observée dans l'issue des interrogatoires était imputable à deux traits de personnalité – minutie et extraversion – du policier, à son degré de suspicion ainsi qu'à l'application et à la ténacité dont il a fait preuve au cours de l'entretien.

Cela veut dire que 24 p. 100 des résultats des interrogatoires sont attribuables à certains traits de personnalité et à certaines compétences, tandis que les 76 p. 100 restants s'expliquent par d'autres facteurs comme le profil du suspect, les caractéristiques ou la singularité du crime, la quantité et la qualité des éléments de preuve et les erreurs de mesure.

Si près du quart de ce qui ressort des interrogatoires est lié au profil de l'interrogateur, alors il est clair que le choix de celui-ci, compte tenu du genre d'interrogatoire, de suspect et de crime, revêt de l'importance.

Les résultats présentés ici ne sont que les premiers éléments de ce qui deviendra, espérons-le, une matrice permettant d'associer le profil d'un interrogateur à celui du suspect. Bien d'autres reprises d'études du même type devront être effectuées avant qu'on dispose de données suffisantes pour élaborer une telle matrice qui soit fiable et utile.

Bibliographie

Funicelli, M., et Laurence, J.R. (2017). « Personality Factors, Interview Competencies and Communicative Suspiciousness of Canadian Police Interrogators of Criminal Suspects », Investigative Interviewing: Research and Practice, vol. 8, n° 1 (2017), p. 1-15.

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