Brian Malley, conseiller financier, avait passé des mois à fabriquer sa bombe artisanale. Mais à peine quelques jours après l'explosion qui a coûté la vie à une mère de famille handicapée d'Innisfail (Alb.), la GRC était déjà sur ses talons.
« Pas de doute, c'était une personne d'intérêt
», déclare le cap. Dan Gyonyor, expert en criminalistique responsable de l'enquête sur l'explosion qui a tué sur le coup Victoria Shachtay, assise dans son fauteuil roulant, le 25 novembre 2011.
Le dernier appel de M. Malley ayant été rejeté l'an passé, certains détails peuvent maintenant être divulgués.
En 2007, Mme Shachtay a confié à M. Malley la gestion de 575 000 $, montant des dommages accordés en réparation de la paralysie dans laquelle l'avait laissée un accident de la route.
Après avoir perdu la plus grande partie de cette somme, M. Malley a mis à exécution un plan funeste de fabrication d'engin explosif.
L'explosion, d'une telle puissance qu'elle a détruit l'appartement de la locataire de 23 ans et fait fuser des éclats d'obus à l'extérieur, a été déclenchée au moment où Mme Shachtay a ouvert le faux cadeau auquel M. Malley avait raccordé sa bombe artisanale.
Spécialistes à pied d'œuvre
L'équipe multidisciplinaire de la GRC s'est donc mise au travail : d'abord, les experts en enlèvement d'explosifs ont inspecté les lieux, que les spécialistes de la preuve médicolégale et génétique ont ensuite passés au peigne fin, à la recherche d'éléments de preuve, puis le Groupe des crimes majeurs (GCM) a tenté d'assembler toutes les pièces du casse-tête.
« Avec autant de spécialistes ayant chacun leur mandat propre, il fallait s'assurer que personne ne soit laissé à l'écart
», souligne le cap. Gyonyor, qui a participé à l'affaire du début à la fin.
D'abord, explique-t-il, les membres du Groupe de l'enlèvement des explosifs (GEE) ont vérifié que les lieux ne présentaient aucun danger.
« Il aurait pu y avoir une autre bombe. Mais les gars du GEE savent qu'ils doivent conserver l'intégrité des lieux à l'intention des experts en criminalistique
», commente le cap. Gyonyor.
D'où le port d'un équipement de protection individuelle, destiné à prévenir toute contamination.
« On voulait être sûrs que l'avocat de la défense ne pourrait pas contester notre travail
», indique le serg. Greg Baird, technicien en explosifs de la GRC ayant enquêté sur l'explosion.
Le chimiste Nigel Hearns, de la GRC, a lui aussi été dépêché sur les lieux.
M. Hearns, membre de l'équipe d'analyse des traces au sein des Services nationaux de laboratoire judiciaire, à Ottawa, avait apporté un détecteur ionique afin de découvrir des choses invisibles à l'œil nu, mais son utilisation aurait pu compromettre l'intégrité des lieux.
Abrité sous une tente, M. Hearns examinait chaque personne qui entrait ou sortait.
« On a intercepté un policier sur qui on a retrouvé des quantités de traces d'explosifs, rapporte M. Hearns. C'est comme avoir de l'huile à moteur sur les mains : ça ne part pas simplement avec de l'eau et du savon.
»
Belle récompense
Grâce à ce travail, les policiers ont pu commencer à chercher des fragments de la bombe comme des morceaux de métal provenant du boîtier, le détonateur, le câblage et la source d'alimentation.
De fait, M. Hearns a trouvé des explosifs n'ayant pas détoné. Plus tard, au laboratoire, au moyen d'une technique isotopique à base de plomb, un collègue a identifié la brasure ayant servi à souder les pièces électroniques.
Le GCM a ultérieurement trouvé la même brasure dans un garage séparé de la résidence de M. Malley et sous-loué à ce dernier par un partenaire d'affaires.
Tout au long de l'enquête, ce sont des centaines de policiers qui ont été affectés à cette affaire par le serg. Kanwardeep Dehil, de la division des crimes majeurs de l'Alberta.
« La découverte de toutes les parties de la bombe, de poudre noire et de l'ampleur de la destruction causée par l'explosion nous a estomaqués
», commente le serg. Dehil.
D'après lui, c'est grâce aux membres du GCM qu'on a découvert des empreintes digitales.
« Mais on ne l'a su qu'après, une fois menées les analyses en laboratoire
», précise le serg. Dehil.
Arrêté en mai 2012, M. Malley a été jugé coupable de meurtre au premier degré en mars 2015.
Au dire de M. Hearns, l'affaire d'Innisfail est un parfait exemple d'étroite collaboration entre effectifs opérationnels et experts en criminalistique de la GRC. De plus, le Collège canadien de police s'en sert comme d'un cas modèle pour préparer les enquêteurs à travailler de concert au sein d'une seule et même équipe multidisciplinaire.
« Cette affaire a donné lieu à un rapprochement inédit entre notre équipe du labo et les groupes opérationnels
», conclut M. Hearns.
Le serg. Baird abonde dans le même sens.
« Le travail accompli montre encore une fois combien il est important de pouvoir mobiliser un personnel qualifié dont l'expertise est irremplaçable ».