Dans la plupart des provinces canadiennes, lorsqu'une personne se noie, les plongeurs de l'équipe de récupération sous-marine de la GRC comme le serg. Andy Pulo et le cap. John Stringer sont prêts à explorer les eaux sombres et froides pour la retrouver. Les deux hommes, affectés au Manitoba et en C.-B. respectivement, cumulent 46 ans d'expérience à eux deux. Patricia Vasylchuk s'est entretenue avec eux sur leur travail et leur motivation.
À quoi ressemble la plongée?
J.S. : Imaginez une noirceur complète, car de 50 à 90 p. cent du travail se fait dans une visibilité nulle. Personne n'aime ça, mais en nous concentrant sur la tâche à accomplir, nous décidons de tirer le meilleur parti des circonstances. Avant tout, il faut vraiment aimer plonger et accepter de chercher des éléments de preuve ou des restes humains dans un milieu inconnu et dangereux.
Quel effet cela fait de trouver un corps?
J.S. : Mes premières découvertes, alors que j'évoluais dans l'eau et qu'est apparu soudainement un corps devant moi, j'ai eu une sorte de choc. Mais j'ai appris à faire de la récupération mon but; maintenant, lors des recherches, je m'attends constamment à trouver des corps.
A.P. : J'ai fait partie de la patrouille routière durant deux ans, et les scènes horribles dont j'ai été témoin alors n'ont rien de comparable à la récupération d'une victime de la noyade
Pourquoi avoir choisi ce métier?
J.S. : Ce qui me motive, c'est le fait de rame-ner une victime à sa famille. À ce moment, les gens sont soulagés et reconnaissants.
A.P. : Il y a de nombreuses victimes que nous n'avons pu retrouver. Dans ces cas, la famille ne peut faire son deuil. Alors quand nous réussissons à lui rendre le corps, la famille peut enfin tourner la page, ce qui me donne une grande satisfaction.
La famille de la victime se trouve-t-elle habituellement sur les lieux?
J.S. : Très souvent. À la fin d'une mission, je viens toujours leur parler; les gens me font une étreinte et me remercient d'avoir fait les recherches. Pour moi, c'est suffisant pour me motiver.
A.P. : Dans les lieux isolés, la famille ne vient généralement pas sur place. Mais, dans certaines communautés autochtones éloignées, il y a souvent un rassemblement pour une veille et les gens nous donnent des pistes sur l'endroit où pourrait se trouver la victime.
Avez-vous parfois des appréhensions?
A.P. : Peu de choses m'effraient. Je pense que, la plupart du temps, les choses les plus inquiétantes sont le fruit de mon imagination. Il n'a pas de monstres qui vont m'attraper. Il s'agit de rester calme et de se rappeler qu'on est dans un milieu dangereux.
J.S. : Je suis parfaitement à l'aise; autrement, je ne pourrais pas faire ce métier. Il faut avoir confiance que dans l'eau, je peux me tirer de n'importe quel pétrin.
A.P. : Et il faut avoir confiance en nos coéquipiers.
J.S. : Exact. Lorsque nous nous fions aux aptitudes des autres membres de l'équipe, nous savons qu'il y aura quelqu'un pour nous secourir en cas de pépin.
Combien de temps vous faut-il pour répondre à une demande?
A.P. : Tout dépend de la disponibilité des membres. La plupart travaille à temps partiel – il n'y en a que huit à plein temps à l'échelle nationale –, il est donc parfois difficile de mobiliser une équipe, car la plupart des membres ont un poste d'attache. De plus, la plupart des gens de mon équipe sont disséminés un peu partout dans la province, il n'y a pas d'équipe centralisée. Aussi, deux des membres sont dans un secteur isolé; pour profiter de leurs services, je dois les faire venir par avion. En pratique, il faut quelquefois jusqu'à deux jours pour assembler une équipe au Manitoba.
Quelle est la fréquence des demandes?
A.P. : Pour mon équipe, cela a varié de 17 à 36 par année, dans le passé.
J.S. : En C.-B., nous en avons reçu 90 cette année.
Y a-t-il une haute saison?
J.S. : Oui, de mai à septembre. C'est la saison des vacanciers qui passent du temps sur l'eau, ce qui se traduit par de nombreuses noyades.
A.P. : Au Manitoba, les demandes sont plus nombreuses jusqu'à la formation d'une épaisse couche de glace sur les lacs et rivières.
Vos recherches ne portent elles que sur des corps?
A.P. : Nous sommes à la recherche de toute une gamme d'éléments de preuve dans les enquêtes policières. Nous récupérons aussi un nombre élevé d'autos et d'avions. En outre, nous veillons à ce que les secteurs riverains soient sûrs. Lorsque la Reine est venu au Manitoba, elle devait se déplacer en bateau sur la rivière Rouge et nous avons alors dû inspecter le port à la recherche d'explosifs.
Devez-vous préserver des éléments de preuve?
J.S. : S'il y a une foule de débris dispersés, par suite d'une explosion par exemple, nous quadrillons le secteur comme pour un lieu de crime sur terre. Mais dans la plupart de nos plongées, il ne s'agit en général que de quelques éléments. Les parties du corps et les éléments de preuve sont conservés dans de l'eau dans un sachet ou dans un contenant étanche.
A.P. : Nous conservons aussi les mains de victimes de meurtre dans un sachet pour préserver des preuves qui pourraient se trouver sous les ongles.
Comment est la visibilité sous l'eau?
A.P. : Tout dépend du lieu. La plupart des endroits où nous plongeons au Manitoba présentent une visibilité quasi nulle. C'est comme du lait au chocolat; nous nous contentons de tâtonner pour trouver ce que nous cherchons.
J.S. : Parfois, la visibilité est très bonne. Nous revenons tout juste d'une mission sur la côte nord de la C.B. où la visibilité était incroyable, spectaculaire. De vastes lits de varech ondulant sous l'écume, des coquillages et des poissons. Comme dans un aquarium. C'était la plus belle plongée de ma vie.
Rencontrez-vous des pépins?
A.P. : Des accrocs, la décompression, les pannes d'équipement. Le plus souvent, nous frappons un obstacle, du bois d'œuvre ou des filets de pêche qui nous retiennent. Près des piliers de ponts, on trouve souvent des amas de débris ou de bois d'œuvre. J'ai même vu des piles de vélos, et aussi d'autos. Notre crainte, c'est qu'une telle pile bascule et nous écrase.
J.S. : Les courants sont aussi très dangereux, surtout quand on y voit rien. Notre câble pourrait s'y accrocher; si le courant est puissant, nous pouvons être poussés contre une motte de racines; et c'est bien plus dangereux, parce qu'il faut lutter contre la pression de l'eau.
Que portezvous?
J.S. : Nous avons une combinaison sèche en néoprène qui nous protège des contaminants,comme l'huile, le gaz ou les liquides organiques. Elle est complètement scellée aux poignets et au cou. Comme elle n'est pas isolée, on peut porter diverses couches de vêtements endessous. Dans les eaux glacées, on peut porter des sous-vêtements épais; en été, je mets habituellement une chemise et un pantalon légers. Les bonbonnes sont en acier, donc plus lourdes que l'équipement de plongée sportive. Nous portons un masque facial intégral qui permet de communiquer par microphone et écouteur. Le tout pèse tout près de 100 livres.
À quelle profondeur plongez-vous?
J.S. : La plupart de nos plongées se font à moins de 20 mètres de profondeur, mais nous pouvons aller jusqu'à 45 mètres.
A.P. : La plupart des plongées au Manitoba n'excèdent pas 18 mètres de profondeur.
Quel est l'aspect qui vous plaît le plus?
A.P. : Au Manitoba, nous intervenons souvent à la suite d'écrasements d'avions. Après avoir retiré les restes humains, l'aspect le plus excitant est de soulever l'avion et de le rapporter sur la berge – il faut alors aménager les câblages nécessaires à l'opération : un problème captivant à résoudre. J'ai déjà eu affaire à un hélicoptère, mais le plus souvent, il s'agit d'avions de brousse.
Que faut-il faire pour devenir plongeur à la GRC?
J.S. : D'abord, avoir travaillé deux ans à la GRC. Ensuite, posséder l'accréditation d'un organisme de plongée autonome et cumuler 25 heures de plongée.