Merritt (C.-B.), avril 2008. Allan Schoenborn, père instable et violent, tue ses trois enfants.
Coup de théâtre, quelques mois plus tard : un rapport indépendant conclut que la mort des enfants était « évitable », puisque M. Schoenborn était connu de la police et des services sociaux et qu'il avait été arrêté trois fois dans la semaine précédant les meurtres. La population est ébranlée.
« Il y a eu des ratés dans la prestation de services, un manque de communication entre les principaux organismes judiciaires et communautaires, reconnaît la gend. Heather Hall, coordonnatrice en santé mentale au Détachement de Richmond de la GRC. Difficile de dire pourquoi c'est devenu systémique, chacun s'en est tenu à son mandat, je suppose. Nous ne nous sommes pas parlé autant que nous aurions dû. »
Le rapport a sonné le réveil des services sociaux en C.-B. où, dorénavant, intervenants de la protection de l'enfance, de l'aide au revenu, de la santé mentale, de l'appareil judiciaire et de la police se parlent.
« Avec l'affaire Schoenborn, les municipalités se sont mises à se demander ce qu'elles faisaient devant la violence fami-liale, rapporte la gend. Hall. À Richmond, on a voulu combler les lacunes dans les communications pour mieux comprendre la nature du risque dans les dossiers de violence conjugale. »
Il n'y a pas qu'en C.-B. qu'on porte un intérêt nouveau à la violence familiale. Le Nouveau-Brunswick a mis sur pied des groupes multipartites pour examiner les dossiers de violence familiale les plus à risque. La Saskatchewan mise sur la sensibilisation et la prévention et demande aux hommes, garçons, femmes et filles de faire le serment d'éviter et de dénoncer la violence. Dans le Nord, on croit que pour mettre un terme à la violence, il faut mobiliser la population.
D'un bout à l'autre du pays, la GRC crée des partenariats et des programmes pour se donner les moyens de prévenir la violence familiale, d'intervenir, de la réprimer et d'offrir aux victimes les soins dont elles ont besoin.
Communication salutaire
Peu après la publication du rapport Schoenborn, Richmond a adopté un plan pour éviter une autre semblable tragédie. En 2012, la ville a demandé à la GRC et à des organismes provinciaux et communautaires de participer au projet pilote Safe Relationships — Safe Children.
Des représentants de chacun des secteurs se rencontraient une fois par mois pour élaborer une formation à l'intention des fournisseurs de services directs – travailleurs sociaux, infirmières, médecins. L'équipe, sous la direction de la GRC, explorait des moyens d'enseigner aux fournisseurs de services la façon d'aborder les personnes à risque, en vue de prévenir la violence.
« Le policier est formé pour poser des questions, c'est facile pour lui, précise Mme Hall. Nous essayions de voir la situation sous différents points de vue – comment un médecin aborderait la question de la violence conjugale, ou un travailleur social, ou un policier. Tous ces gens côtoient les agresseurs et les victimes, et ils doivent poser les bonnes questions. »
Une fois le projet pilote terminé, la ville a décidé de pousser plus loin l'idée de la communication inter-organisationnelle. En 2012, elle a adhéré à une initiative provinciale : l'équipe inter-organisationnelle d'évaluation de cas (ICAT).
Créées à l'origine par l'association Ending Violence de C.-B., les ICAT se sont répandues dans de nombreuses localités dans toute la province, y compris à Richmond. L'équipe crée des groupes de travail qui l'aident à s'attaquer à la violence familiale – en particulier dans les cas qui présentent des facteurs de risque élevé comme la maladie mentale ou la toxicomanie.
Désormais intégrée au paysage social de Richmond, l'ICAT se réunit une fois par mois pour discuter des dossiers de violence familiale les plus préoccupants. Ces réunions sont l'occasion pour les organismes de présenter ce qu'ils ont sur les dossiers les plus dangereux, compte tenu des facteurs de risque présents, de faire le point et de décider des mesures à prendre.
« De nos jours, tout le monde veut collaborer, parce que chacun sait qu'il ne peut pas tout faire tout seul. Il faut des partenaires, conclut Mme Hall. Notre rôle à nous est de protéger la population et de faire payer leurs crimes aux malfaiteurs. D'autres services doivent remplir d'autres rôles. »
Travail d'équipe
Le concept de l'équipe contre la violence familiale s'est imposé aussi sur la côte est. Au Nouveau-Brunswick, l'une des priorités de la GRC est la violence entre partenaires intimes.
C'est pourquoi la GRC et les corps de police municipaux se sont joints au ministère de la Sécurité publique pour créer en 2011 une Table ronde sur la criminalité et la sécurité publique et plus récemment, un modèle d'intervention communautaire concertée (ICC).
L'ICC veut mettre en place une équipe multipartite, semblable à l'ICAT en C.-B., pour s'occuper des dossiers les plus préoccupants de violence conjugale. Lorsque les éléments seront en place, divers organismes locaux se réuniront régulièrement pour mettre leur savoir en commun et établir des plans de protection pour les résidants à risque.
« Le risque varie dans le temps, indique Rhonda Stairs, agente de programmes communautaires au N.-B. L'ICC permettra aux partenaires communautaires de tenir leur information à jour, selon l'évolution du risque. »
Tous les policiers du N.-B. ont récemment suivi la formation sur l'Évaluation du risque de violence familiale en Ontario (ERVFO), créée en 2003, pour pouvoir mesurer le risque auquel est exposée une famille. Le policier sait quelles questions poser pour établir le degré de risque.
N'importe quel organisme peut ramener un dossier sur la table dès que le risque est ravivé. L'ICC établit alors un plan de protection pour la victime et pour la famille.
« Plusieurs personnes dans la communauté possèdent divers éléments d'information — il y a plusieurs variables, reconnaît Mme Stairs. La GRC participe aux discussions et est déterminée à s'occuper de la violence familiale. »
Prévention
Pendant que la C.-B. et le N.-B. formulaient leurs stratégies de lutte contre la violence familiale, la Saskatchewan bonifiait ses services aux victimes. Bien que ceux-ci soient offerts à même les détachements de la GRC, les contacts entre les deux services sont rares. La GRC a donc embauché Pat Lee à titre d'agente de liaison provinciale en services aux victimes et de coordonnatrice en prévention de la violence conjugale.
Elle veille à ce que la GRC donne les bons outils et les bonnes références, et à ce que les services aux victimes aient les ressources pour aider le mieux possible. Elle doit aussi coordonner et promouvoir les initiatives pour enrayer la violence familiale ou conjugale.
« Miser sur la prévention peut entraîner une économie en réaction, moins d'appels et de visites sur place, estime Mme Lee. Je veux travailler avec la communauté pour qu'elle le voie bien. »
Depuis le début de l'année, Mme Lee parcourt la province, distribue des rubans blancs et invite les gens à prêter serment contre la violence familiale.
Elle assiste aux Cérémonies du crépuscule de la GRC, à des pow-wow et des conférences et visite des écoles — tout ça pour parler du problème et pour y sensibiliser la population.
« Il est difficile d'admettre la violence familiale, mais souvent, quelqu'un dans la communauté est au courant. On peut difficilement la cacher, croit Mme Lee. Nous leur disons "Voici où vous pouvez appeler, ce que vous pouvez faire, comment vous pouvez aider." Si nous pouvons aider ne serait-ce qu'une fois, prévenir un événement, c'est le but visé. »
Shamattawa, au Nord du Manitoba, mise aussi sur la prévention policière pour lutter contre la violence familiale.
« Le taux de violence conjugale chez nous était l'un des plus élevés, mais il a chuté fortement ces dernières années, observe le serg. Ryan Merasty, chef du Détachement de Shamattawa. C'est grâce à la police préventive — nos gens sortent et ils savent qui sont les récidivistes. Ce sont ceux que nous ciblons instantanément. »
Il y a eu une baisse de 38 p. 100 des crimes contre la personne à Shamattawa entre 2013 et 2015 — en grande partie au chapitre des agressions sexuelles et entre partenaires, précise-t-il. On a constaté en même temps une baisse du volume d'appels et du nombre de prisonniers — signe que les attitudes changent.
« Nous faisons partie de la communauté, raconte le serg. Merasty. Nous organisons des barbecues, des soirées cinéma, des activités sportives où nous nous mêlons aux jeunes et aux adultes. Tout ce temps que nous avons consacré au travail communautaire donne des résultats. Les gens savent que nous sommes là pour les aider. »
Changer les mentalités
Si chaque région connaît ses propres difficultés en matière de violence familiale, les solutions présentent des similitudes dans l'ensemble du pays. La communication, la collaboration et la prévention aident la GRC à s'occuper de violence familiale comme jamais auparavant.
Depuis le rapport Schoenborn, on prend mieux soin des victimes en C.-B. parce qu'on a amélioré la communication entre les services gouvernementaux, les groupes communautaires et la police. Depuis quatre ans, l'ICAT de Richmond s'est occupée de plusieurs dossiers, s'attaquant aux racines de la violence familiale et assurant la protection des victimes.
« Nous sommes maintenant tous au diapason — l'information circule beaucoup plus rapidement entre les principaux partenaires, résume la gend. Hall. Nous avons affaire à des êtres humains, et l'être humain est complexe. Il n'y a pas de solutions faciles, alors nous devons mettre nos efforts en commun pour enrayer la violence conjugale. »