La vue est indispensable à la survie, et ce, depuis bien avant l'invention des armes à feu. Les déformations perceptives dues au stress aigu peuvent modifier considérablement le comportement du policier. Katherine Aldred s'est entretenue avec le serg. Jeff Quail, retraité du service de police de Winnipeg (SPW), qui nous parle ici des limites des réactions humaines et de moyens de les atténuer.
Parlez-nous de votre parcours en formation.
À l'académie [du SPW], j'étais d'abord coordonnateur adjoint de la sécurité des agents avant de devenir coordonnateur comme tel et responsable de la formation sur les tactiques défensives et le maniement des armes à feu. Aujourd'hui, je dirige à plein temps la section de recherche et déve-loppement de Setcan.
Que savons-nous des distorsions visuelles dues au stress aigu?
Sur le plan physiologique, l'état de stress aigu stimule le système nerveux sympathique qui libère massivement des hormones, dont l'adrénaline que nous connaissons tous. L'adrénaline agit sur le muscle ciliaire entraînant son relâchement et l'aplatissement du cristallin. La vision éloignée s'en trouve momentanément plus nette par rapport à la vision rapprochée, et en situation de stress, on pourrait être incapable de bien voir son arme.
Voilà qui n'est pas négligeable. Que peut-il arriver d'autre?
Du côté visuel et cognitif, de nombreuses études portent sur ce qu'on appelle l'effet de concentration sur l'arme. Elles ont démontré qu'en situation de stress, certaines personnes ont tendance à fixer l'arme plutôt que le centre de la cible. Cela dit, nous n'en sommes qu'à nos débuts dans notre recherche d'explications sur ce qui crée cet effet et d'autres distorsions.
Comment le milieu policier peut-il exploiter ce savoir?
Avant tout, il faut accepter la probabilité que des distorsions se produisent sous stress aigu, même si on ne peut pas encore prédire leurs types ni à quel moment elles se produiront. Ensuite, on pourra se pencher sur les façons de préparer le policier à cette éventualité afin de l'aider à mieux remplir son rôle.
Et comment peut-on le préparer?
Il y a trois méthodes de formation auxquelles on peut avoir recours. La première consiste à faire accepter les effets du stress. Un individu attaqué soudainement de près ne réfléchit pas à sa réaction. Il se laisse guider par son instinct qui le pousse à reculer avant même d'avoir eu le temps de fouiller sa mémoire. Dès lors qu'il aura saisi ce principe que le corps humain réagit naturellement devant un danger, que les réflexes naturels sont immuables, il pourra penser à une réponse conditionnée.
La deuxième porte sur les techniques d'atténuation du stress. Plus la réaction est faible, moins d'hormones sont secrétées et plus le risque de distorsions diminue. Les techniques abondent mais sont difficiles à appliquer dans ce contexte. Un exemple : Vous êtes un acrophobe dans des montagnes russes à qui on dit de ne pas paniquer. Évidemment qu'au moment de franchir une descente, vous réagirez. Rassurer sert plus à se préparer à un évènement prochain qu'à maîtriser une situation soudaine.
Et enfin, il y a le surapprentissage qui consiste à réitérer plusieurs fois des exercices essentiels jusqu'à l'atteinte d'un niveau de compétence inconsciente. Prenons l'enrayage d'une arme à feu. Un usager averti qui appuie sur la détente et voit que son arme ne fonctionne pas emploiera systématiquement la technique apprise. Grâce à la répétition, on agit avec automatisme et on n'a pas à se rappeler chaque étape de l'action (frapper le fond du chargeur, ensuite actionner la glissière vers l'arrière, puis…). L'habitude devient une seconde nature.
Quelles ressources y a-t-il pour les policiers?
Il existe des formateurs de policiers et de militaires ainsi que des universitaires au savoir-faire extraordinaire. J'encourage les intéressés et ceux qui souhaitent recevoir ce genre de formation à les consulter.