Blessée par balle au visage et à la poitrine, l'agente Ann Carrizales du service de police de Stafford s'est lancée à la poursuite de trois suspects armés qui se dirigeaient vers Houston (Texas). Au péril de sa vie, elle a réussià arrêter les suspects pour qu'ils soient traduits en justice. Amelia Thatcher s'est entretenue avec l'agente Carrizales, ancienne marine des É.-U. et championne nationale de boxe, pour en savoir davantage sur son parcours vers la guérison.
Qu'est-il arrivé le 26 octobre 2013?
Dans le milieu policier, on vit un stress quotidien. Ce jour-là, j'ai procédé au contrôle routier d'un véhicule où prenaient place trois hommes hispaniques. Ces hommes étaient associés à MS-13, un gang très violent affilié à la mafia mexicaine. Quand je suis arrivée à leur hauteur, j'ai vraiment senti que quelque chose clochait. C'était très calme dans le véhicule, on osait à peine respirer. Tous les signes y étaient. Ils ont eu une réaction très violente envers moi : un des passagers a fait feu sur moi, m'atteignant au visage et à la poitrine.
À quoi avez-vous pensé à ce moment?
C'est comme si le cerveau subit une décharge électrique. Quand j'ai reçu la balle au visage, j'ai entendu un bruit fort ressemblant à une sonnerie. J'ai ressenti la douleur et la force de l'impact, un peu comme si je venais de rece-voir un gros coup de poing. J'ai fait beaucoup de boxe, alors je sais ce que ça fait de recevoir un coup au visage, mais pas une balle. Ma tête s'est renversée vers l'arrière et je me suis dit : « Ça y est, c'est arrivé. » Je m'étais toujours préparée à ce genre de situation. C'est l'un des pires cauchemars du policier.Pourquoi vous êtes-vous lancée à la poursuite des suspects?
J'étais très en colère. Ils étaient venus à Stafford et avaient ouvert le feu sur moi dans un petit parc de maisons mobiles. Je me suis dit qu'ils n'avaient aucun droit de venir ici, de me tirer dessus et de faire des dégâts avant de s'enfuir et peut-être de tuer quelqu'un d'autre. Je n'allais pas les laisser faire. Je me suis examinée rapidement et je me suis sentie assez bien pour pouvoir les pourchasser. J'ai pour mandat de protéger les gens, et c'est ce que je devais faire.Comment avez-vous été affectée physiquement, psychologiquement et émotionnellement?
Le plus facile a été de recevoir une balle au visage et à la poitrine. J'ai dû subir plusieurs chirurgies, dont une mastectomie et une reconstruction, et j'ai perdu la moitié du lobe gauche de l'oreille. Les chirurgies m'ont causé beaucoup de douleur et d'anxiété. Et plusieurs mois après l'événement, les premières de nombreuses attaques de panique graves ont commencé. Il m'est arrivé de penser que j'avais une crise cardiaque en plein quart de travail. Je pensais avoir quelques notions du trouble de stress post-traumatique (TSPT), mais ce n'était pas assez. C'est seulement après m'être renseignée sur le sujet et être allée chercher de l'aide que j'ai commencé à me sentir mieux physiquement et émotionnellement.Qu'avez-vous fait pour vous en sortir?
Mon chien est toujours resté auprès de moi, il a absorbé toutes mes larmes et mes cris. Mes enfants et mon mari ont fait de même. Ça a mis notre famille à rude épreuve. Tout a changé le jour où j'ai décidé que je n'allais pas abandonner, que j'allais prendre le taureau par les cornes et que nous allions nous battre jusqu'à ce que j'aille mieux et que je gagne le combat. Je savais que j'allais recevoir des coups et que je saignerais, mais je ne serais pas vaincue.Comment votre organisation et vos pairs ont-ils réagi?
Parfois, la gestion oublie que les blessures subies ne sont pas seulement physiques. Quand un tel incident survient près de soi, à un collègue, par exemple, on ne sait pas quoi dire ou comment agir. En réalité, les policiers qui vivent une expérience semblable à la mienne ne vont pas chercher l'aide dont ils ont besoin. Les policiers sont plutôt formés pour être ceux qui apportent l'aide et agir comme protecteurs. Pour l'entourage des personnes qui souffrent, leur silence devient assourdissant. Il ne faut jamais cesser de leur offrir de l'aide. Parfois, au dixième appel, la personne peut finir par vous dire qu'elle ne va pas très bien.Comment vous êtes-vous rétablie?
J'ai senti que je devais me battre, alors j'ai engagé le combat. J'ai commencé à voir un psychiatre et à faire le ménage des choses que j'avais mises de côté parce que j'avais peur. Je m'y suis attaquée avec la force d'un joueur de football. Je me suis renseignée et j'ai appris que ma réaction était tout à fait normale après l'événement anormal que j'avais vécu. Quand j'ai compris le fonctionnement du TSPT et comment le cerveau enregistre les traumatismes, j'ai arrêté d'avoir peur. Pendant le processus de guérison, j'en parlais à tous ceux qui étaient prêts à m'écouter, car j'avais l'impression que le TSPT était méconnu. Ce trouble est tabou, et on se fait souvent dire de ne pas en parler. Eh bien moi, j'en ai parlé, et on m'a demandé de raconter mon histoire. C'est ainsi que, sans le savoir, je me suis guérie peu à peu. Je voulais que les policiers du monde entier sachent ce que j'ai vécu. Je me suis rétablie en parlant des choses difficiles.Vos aptitudes à la boxe vous ont-elles aidée dans cette épreuve?
Quand on vit une situation stressante, on va puiser dans les ressources qu'on a. J'ai été stupéfiée de constater à quel point la boxe m'a aidée. Quand j'ai reçu la balle au visage, c'est comme si on m'avait donné un coup de poing. Physiquement, on pourrait réagir d'abord en se couvrant le visage, en fermant les yeux ou en s'enfuyant. Ma réaction a été de garder les yeux sur l'ennemi, comme à la boxe. Psychologiquement, l'esprit compétitif de la guerrière qui reste forte malgré la douleur a définitivement contribué à ma guérison. Cela dit, on n'est pas obligé d'être un champion de boxe, un athlète ou un marine pour réagir de cette façon.Y a-t-il quelque chose que vous auriez aimé faire différemment?
Je ne changerais rien à la façon dont j'ai mené le contrôle routier et réagi à la menace. Même si on fait tout ce qu'il faut, il arrive que la situation tourne mal. Je ne juge pas mes actions, même dans les moments où je me sens faible et déprimée. J'ai constaté que je ne suis pas une surhumaine. Je suis simplement une femme qui accomplit des choses extraordinaires dans ma carrière. Je pense avoir réagi du mieux que j'ai pu. Je crois que j'ai dû faire le deuil de la partie de moi que j'ai perdue après l'événement. Si je ne m'étais pas donné la permission de vivre cette épreuve comme je l'ai fait, je ne serais probablement pas où je suis aujourd'hui. Je suis heureuse des progrès que j'ai réalisés.Comment allez-vous aujourd'hui?
Je ne suis pas sortie indemne de cette épreuve. J'ai eu ma part de cicatrices et d'ecchymoses. Il m'arrive encore d'avoir de mauvaises journées et de vouloir être seule. Je ne veux pas donner l'impression d'être remise totalement de cet événement. Je vais bien, mais j'ai été marquée. J'essaie de me servir des outils qui m'ont été donnés pour gérer tout ça et aller mieux. J'ai fini par accepter que je ne serai plus jamais être la Ann Marie Carrizales que j'étais avant de me faire tirer dessus. Et au début, ça me faisait beaucoup de peine. Mais ce n'est plus le cas aujourd'hui; je suis fière de la personne que je suis devenue.Que diriez-vous aux autres policiers blessés dans l'exercice de leurs fonctions?
Même si vous recevez une balle au visage et à la poitrine, vous pouvez vous en sortir, et pas seulement au moment des événements, mais aussi après. Ça bouleversera votre vie. Vous avez le droit de vous sentir vulnérable et abattu et d'avoir peur. Vous aurez parfois envie d'abandonner, mais vous serez capable de tout reconstruire, et le résultat sera encore plus solide qu'avant. Vous pouvez vous en sortir si vous prenez le temps et faites les efforts nécessaires.