Lundi matin, 8 h. Le Détachement de Digby, dans le sud-ouest de la Nouvelle-Écosse, se réveille tout juste. La veille, la balise d'une randonneuse s'est activée, signalant un appel de détresse.
Au moment où les membres franchissent la porte, le s.é.-m. Dave Chubbs, chef du petit détachement de 16 personnes, leur fait état de la situation.
Deux membres seulement étaient de service quand ils ont reçu, à 21 h 30, l'appel au sujet d'une randonneuse disparue près d'East Cranberry Lake, à une cinquantaine de kilomètres de Digby, au fond des bois. Comme les policiers ne connaissaient pas bien le secteur, ils ont fait appel aux Ressources naturelles.
Les recherches ne progressant pas, la GRC décide d'avoir recours à l'équipe de bénévoles formés en recherche et sauvetage et d'appeler en renfort des policiers d'un détachement voisin. Plusieurs heures se sont écoulées, et n'ayant toujours pas localisé la femme, la GRC appelle le centre conjoint de coordination de sauvetage, dirigé par la Garde côtière et l'armée.
Vers 3 h, le gestionnaire des risques demande l'aide de la Défense nationale, qui envoie un hélicoptère Cormorant survoler le secteur.
« Ça montre bien le nombre de partenaires à qui nous devons faire appel en cas d'urgence,
affirme le s.é.-m. Chubbs. Tous les chefs de détachement savent qu'ils devront tôt ou tard compter sur l'aide de leurs voisins, surtout en milieu rural.
»
Milieu rural : Digby (N.-É.)
Le Détachement de Digby de la GRC sert une vingtaine de localités du comté de Digby. Ce secteur rural d'environ 18 000 habitants est un microcosme de la diversité du Canada : on y trouve une communauté de la Première Nation mi'kmaq appelée Bear River, deux îles parsemées de villages de pêcheurs isolés et trois communautés de souche africaine établies en N.-É. depuis le XVIIIe siècle.
À bien des égards, l'unicité des populations et l'étendue des territoires sont les plus grands défis à surmonter pour les détachements ruraux comme celui de Digby. L'éloignement de certaines communautés peut compliquer l'intervention des policiers de la GRC en raison de la distance.
« Si une urgence survient en ville, toute la cavalerie s'amène. En milieu rural, le policier le plus près peut se trouver à une quarantaine de kilomètres,
explique le surint. Martin Marin, officier de district policier, sud-ouest de la N.-É. Il faut bien connaître ses partenaires et exploiter toutes les ressources disponibles.
»
Les îles Long et Brier sont des exemples parfaits de communautés rurales difficiles d'accès. Au sud-ouest de Digby, ces îles se trouvent au bout d'une longue péninsule, surnommée la langue de terre de Digby. Il faut un peu plus d'une demi-heure pour arriver jusqu'au petit port, au bout de la péninsule, où un traversier part chaque heure à destination de l'île Long. Ensuite, un autre traversier amène les passagers jusqu'à l'île Brier. Le trajet complet peut durer un peu plus d'une heure, si on compte les traversées en bateau.
« Nous sommes esclaves de l'horaire des traversiers
», fait remarquer le gend. Colin Helm, l'agent de liaison avec les écoles de Digby. D'après lui, l'éloignement des îles confère à ces communautés un caractère distinctif qu'il n'avait jamais connu jusque-là dans sa carrière.
Des chiffres :
Comté de Digby
Un détachement : Digby
Nombre d'habitants : 17 300
Nombre de policiers de la GRC : 16
Municipalité régionale de Halifax
Sept détachements : Lower Sackville, Cole Harbour, Tantallon, Preston, Musquodoboit Harbour, Sheet Harbour et North Central
Nombre d'habitants : 403 000
Nombre de policiers de la GRC : 193
Nombre de policiers du SPRH : 531
Comté de Colchester
Trois détachements : Bible Hill, Stewiacke et Tatamagouche
Nombre d'habitants : 38 000
Nombre de policiers de la GRC : 35
« Quand on prend le traversier, c'est un peu comme si on changeait de pays,
ajoute-t-il. Dès que les gens voient la voiture de police se diriger vers la pointe de la langue de terre de Digby, ils l'annoncent sur Facebook et envoient des textos à tous leurs voisins. Ils savent qu'on arrive sur les îles avant même qu'on y mette les pieds.
»
La GRC à Digby ne reçoit pas beaucoup d'appels des îles Long et Brier, ce qui s'explique en partie par la faible densité de population, soit quelque 500 habitants répartis sur les deux îles.
« Croyez-moi, il n'y a pas plus rural que ça,
dit le gend. Helm en parlant de l'île Brier. On n'y trouve que deux rues et tous les habitants se connaissent.
»
Des casiers à homards en métal et des bouées s'empilent le long de la route en gravier près de la mer. La plupart des maisons ont été abîmées par les intempéries et construites sur de grands terrains gazonnés où sont garés des bateaux et des VTT.
Pendant ses patrouilles, le gend. Helm salue tous les gens qu'il rencontre. Il connaît la plupart d'entre eux et est au courant de l'histoire de chacun.
« Janet aime se promener le long de ces chemins
», nous dit-il au moment où il fait un signe de la main à une dame âgée avançant lentement dans la rue avec une marchette, sous la pluie. Elle se retourne, lui fait un grand sourire et le salue au moment où il passe à côté d'elle.
Selon lui, la visibilité est l'un des aspects les plus importants du travail policier en milieu rural : pour se sentir en sécurité, les résidents veulent voir les policiers circuler dans les rues, à pied ou en voiture. Et c'est souvent pendant leurs rondes que les poli-ciers voient des choses qui clochent.
« J'aime circuler sur les routes secondaires, car on ne sait jamais ce qu'on peut y trouver,
confie-t-il. Quelque chose peut attirer mon attention, que ce soit une personne ayant des troubles mentaux, une personne intoxiquée ou même un cas de violence conjugale.
»
Le gend. Helm essaie de se rendre sur les îles quelques fois par mois. Le reste du temps, il va dans les écoles, planifie des projets de sécurité, travaille à la résolution de problèmes dans les localités et répond aux appels de services généraux. Ici, il arrive souvent que les policiers mènent les enquêtes du début à la fin et se présentent devant les tribunaux, car les petits détachements n'ont pas facilement accès à des équipes spécialisées ou à des agents de liaison avec les tribunaux.
« En milieu rural, nous sommes un peu des hommes à tout faire,
conclut-il. Mais j'adore ça. Ce qui est formidable, c'est qu'on apprend énormément de choses chaque jour.
»
Milieu urbain : Halifax (N.-É.)
Chaque quart de travail au Détachement de Sackville, District de Halifax, commence par une réunion d'équipe. Huit policiers aux services généraux entrent dans une salle de conférence du bâtiment et entreprennent un bloc de quatre journées de travail après trois jours de congé. Contrairement au Détachement de Digby, qui est ouvert 19 heures sur 24 en moyenne (des policiers sont en disponibilité le reste du temps), le District de Halifax assure des services en tout temps.
« Même si c'est mercredi, on se sent comme un lundi matin
», dit le serg. Craig Smith, chef de veille, Équipe 3. Il est responsable d'une vingtaine de policiers de trois des six détachements de Halifax : Lower Sackville, Cole Harbor et Tantallon. Pendant ses quarts, il garde aussi un œil sur les détachements de Musquodoboit Harbour, de Sheet Harbour et de North Central.
À titre de chef de veille, le serg. Smith voit à la bonne marche de l'Équipe 3 en faisant figure d'autorité, en donnant des directives et en offrant de l'aide au besoin.
« Je m'assure que les policiers ont tout ce qu'il faut pour faire leur travail,
explique-t-il. Ils peuvent me faire des comptes rendus, mais je leur fais confiance. Je suis là pour les soutenir.
»
Il assigne des tâches supplémentaires aux policiers selon les secteurs où la criminalité est la plus forte d'après les plus récentes données. Depuis huit ans, le District de Halifax s'appuie sur des statistiques pour planifier ses opérations. Toutes les trois semaines, les chefs de veille, les responsables des services d'enquête et les officiers responsables exa-minent ensemble les dernières tendances et statistiques en matière de criminalité.
Analyste criminelle chargée de passer en revue les données des enquêtes et des appels de service, Sheila Serfas anime les réunions. Elle présente les tendances actuelles et une carte des secteurs où la criminalité est la plus importante, sur laquelle le nombre et les types de crimes commis sont indiqués.
Même si les petits détachements ruraux ne se servent pas très souvent d'analyses statistiques étant donné que peu de crimes y sont perpétrés, le District de Halifax juge cet outil précieux.
« Quand nous avons commencé à cartographier les crimes, beaucoup d'incidents survenaient dans le district : des dommages matériels, des accidents de la route, etc. Ce n'est plus le cas,
affirme Mme Serfas. Chaque mois l'été, environ 150 véhicules étaient volés; aujourd'hui il y en a à peine une trentaine.
»
Elle analyse les chiffres plus en profon-deur en vue de faire des recommandations aux policiers. « Non seulement nous examinons les données, nous songeons aussi aux mesures que nous pouvons prendre, explique-t-elle. Le district a donc pu déterminer que ses grandes priorités sont la santé mentale, la jeunesse et la drogue, car les policiers y consacrent la majorité de leur temps.
Si certains crimes sont prévisibles grâce aux données recueillies, d'autres se produisent sans qu'on s'y attende. Récemment, le District de Halifax de la GRC était sur un pied d'alerte : trois appels urgents ont été reçus en quelques heures. Le serg. Smith était le chef de veille.
« On nous a signalé une voiture piégée, un tireur dans une école et un accident impliquant un autobus scolaire,
se souvient-il. Il faut toujours être à l'affût et prêt à intervenir.
»
Le serg. Smith estime que les policiers doivent absolument connaître les ressources à leur disposition, surtout en cas d'appel urgent. Le Service de police régional de Halifax (SPRH) est l'un des principaux partenaires de la GRC et sert le centre-ville de Halifax, y compris les anciennes municipalités de Bedford et de Dartmouth. La GRC est quant à elle chargée des banlieues comme Sackville et des communautés voisines du comté de Halifax.
« La configuration du territoire fait en sorte que nous travaillons ensemble tous les jours,
dit le chef du SPRH, Jean-Michel Blais. Ce qui est intéressant, c'est qu'un crime peut avoir été commis sur le territoire de la GRC et que l'enquête soit menée par le SPRH, et vice-versa.
»
Il ajoute que les deux services travaillent de façon entièrement intégrée et partagent même une radiofréquence pour assurer la continuité des opérations. De plus, le District de Halifax et le SPRH ont des équipes intégrées du renseignement criminel, dont une section des crimes majeurs et des équipes de soutien (consultation juridique, intervention d'urgence, identité judiciaire, etc.).
« Pour la GRC, il est avantageux de pouvoir compter sur les policiers du SPRH, qui connaissent les moindres recoins de la ville,
estime la surint. pr. Lee Bergerman, off. resp. du District de Halifax. Quant au SPRH, il a accès à nos équipes spécialisées et à nos nombreuses connaissances et pratiques exemplaires en matière de services policiers canadiens.
»
Le chef Blais confirme que le partenariat entre les deux services est inestimable.
« Dans une équipe intégrée, peu importe l'insigne que nous portons, nous avons tous le même objectif : faire notre travail.
»
Milieux urbains et ruraux : Bible Hill (Nouvelle-Écosse)
À une heure de route au nord de Halifax se trouve la localité pittoresque de Bible Hill, l'une des trois communautés servies par le District de Colchester de la GRC. Ce petit village d'agriculteurs est voisin de la ville de Truro, la rivière Salmon séparant les deux municipalités. D'un côté, les services poli-ciers sont assurés par la GRC et de l'autre, par le Service de police de Truro.
Même si les deux services de police font des patrouilles dans des municipalités voisines, ils ne travaillent pas de façon intégrée comme c'est le cas dans le District de Halifax. Le plus souvent, ils s'occupent seulement de leur territoire, sauf en cas d'incident grave.
Cette situation s'explique notamment par le fait que les équipes spécialisées pour le nord-est de la Nouvelle-Écosse, comme celles des crimes majeurs et de la circulation, se trouvent à Bible Hill. À cet égard, le Détachement de Bible Hill bénéficie de tous les avantages d'un gros détachement tout en permettant aux membres d'être autonomes.
Le comté de Colchester a de nombreuses priorités en commun avec le District de Halifax : la santé mentale, le travail auprès des jeunes et la drogue sont en tête de liste, de même que la consommation abusive d'alcool et la conduite avec les facultés affaiblies.
Afin de contrer l'alcool au volant, les policiers organisent, une fois par jour, des points de contrôle aux intersections pour vérifier la sobriété des automobilistes ainsi que la validité de leur permis, de leurs immatriculations et de l'autocollant de leur véhicule.
« Nous choisissons toujours un endroit différent, c'est un peu comme jouer au chat et à la souris
», explique le s.é-m. Allan Carroll, chef du District de Colchester de la GRC. Selon lui, dans les petits détachements, tous les membres aident du mieux qu'ils le peuvent,
même le chef. « Je suis de la vieille école : j'aime être sur le terrain avec mes collègues.
»
Pour la gend. Lorilee Morash, agente de liaison avec les écoles, la sensibilisation aux dangers de l'alcool et de la drogue constitue aussi une priorité. Chaque fin d'année scolaire, elle anime des ateliers dans les écoles secondaires, où les jeunes peuvent conduire un go-kart, faire du sport et courir dans l'aire de jeux tout en portant des lunettes de simulation d'alcoolémie.
Au moment de diviser les jeunes en groupes, la gend. Morash les sensibilise au fait qu'il peut être très difficile d'accomplir une tâche aussi simple que marcher lorsqu'on est intoxiqué.
« En milieu rural, la meilleure façon de se déplacer est en automobile, en camionnette ou en VTT,
ajoute-t-elle. L'exercice les aide à se rappeler qu'il faut y penser deux fois avant de prendre le volant après avoir consommé de l'alcool ou de la drogue.
»
Le Détachement de Bible Hill effectue souvent des patrouilles conjointes avec le ministère des Ressources naturelles afin de repérer des conducteurs de VTT (l'été) et de motoneige (l'hiver) avec les facultés affaiblies.
« Nous tombons sur une personne intoxiquée pendant chaque patrouille de sentier,
affirme le gend. Gavin Naime, policier à Bible Hill. Le but n'est pas de remettre des contraventions, mais d'être visibles. Souvent, notre présence suffit pour dissuader les gens.
»
Même si les priorités des différents détachements changent selon les populations servies et le territoire, l'objectif demeure le même pour les policiers qui les dirigent.
« J'aime échanger avec les gens, c'est pour cette raison que je suis devenu policier,
confie le gend. Naime. Mon but est d'aider ceux qui en ont besoin, et ce qui me rend heureux, c'est de pouvoir embellir la journée de quelqu'un au moins une fois par quart de travail.
»