Vol. 77, Nº 3Reportages

Loin de chez soi

L'importance de veiller à la santé psychologique des policiers en mission

Une étude du CLDI de la GRC a révélé que la possibilité pour les policiers affectés en Afghanistan de passer un peu de temps dans un autre pays avant de revenir au Canada a contribué à atténuer une partie du stress associé à la mission. Crédit : Caméra de combat

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Le travail des policiers au Canada est stressant et risqué. Mais lorsqu'ils partent en mission pendant un an dans des États défaillants ou fragiles ou pour contribuer au perfectionnement de la police, loin de leur famille et du confort de leur foyer, les policiers doivent apprendre à affronter différents risques et des conditions de vie et de travail difficiles, voire éprouvantes.

En mission, le stress peut être déclenché par un incident grave ou s'accumuler au fil du temps. Les répercussions de ce stress sur la santé du policier, la dynamique familiale et la réintégration au travail après une mission d'un an peuvent être minimes ou majeures.

Des services psychologiques conçus en fonction d'une étude

L'équipe de Protection de la santé et Mieux-être dans les déploiements internationaux du Centre des liaisons et déploiements internationaux (CLDI) de la GRC est chargée d'atténuer les risques pour la santé physique et psychologique des policiers tout au long du cycle des missions.

En 2014, les psychologues du CLDI ont réalisé une étude afin de mieux comprendre les facteurs qui influent sur la résistance en mission ainsi que les éléments permettant de prévoir qu'un membre sera en bonne santé psychologique après la mission.

Le but ultime de cette étude est d'accroître l'efficacité des processus de sélection et de préparation avant les missions, la qualité de l'appui offert aux policiers et à leur famille pendant la mission et le soutien à la réintégration.

L'étude a été menée auprès de plus de 500 membres de la GRC et de services de police municipaux et provinciaux ayant participé à des missions de paix à l'étranger entre 2007 et 2014.

Elle portait sur les liens entre les éléments suivants :

  • les sources de stress avant la mission;
  • le stress et la capacité de s'adapter pendant la mission;
  • divers facteurs liés à la santé et au bien-être après une mission, y compris sur les plans personnel et familial.

Les résultats de l'étude ont confirmé l'importance d'évaluer en profondeur la santé psychologique des postulants dans le cadre des processus de sélection préalables à l'accomplissement de tâches à risque élevé comme la participation à une mission de paix.

Plus précisément, selon les résultats de l'étude, les candidats qui vivent un stress considérable au travail ou à la maison avant de partir en mission risquent davantage d'avoir de la difficulté à affronter les sources de stress supplémentaires de la mission.

Même s'il ne représente qu'un facteur parmi tant d'autres qui peuvent influer sur l'aptitude d'un candidat à participer à une mission, le stress professionnel ou familial est évalué attentivement dans le cadre des évaluations psychologiques préalables aux missions en raison de son lien connu avec la capacité d'affronter les difficultés en mission.

L'étude a également révélé que la capacité naturelle d'une personne à se remettre d'une épreuve et à faire contre mauvaise fortune bon cœur est un meilleur indicateur d'une bonne réintégration que la capacité à faire face aux risques et aux conditions difficiles des missions.

Autrement dit, si nous voulons voir diminuer les risques que les membres éprouvent des problèmes de santé et de réintégration après les missions, nous devons non seulement choisir des policiers aptes à participer à des missions, mais aussi les préparer à être forts dans l'adversité.

Une formation avant de partir en mission

Une séance de formation psychologique offerte à la Direction générale de la GRCà Ottawa avant le départ pour la mission porte sur le stress et la réaction émotionnelle et vise à enseigner des stratégies de gestion du stress et à dissiper les préjugés associés à la consultation d'un professionnel en situation de détresse psychologique.

Cette formation amène les policiers à percevoir la santé psychologique comme une échelle progressive qui passe de la santé à la réaction, puis aux symptômes jusqu'à la maladie, plutôt que deux cases : dans la case blanche, tout va bien, et dans la noire, il y a un problème. Chaque état psychologique est associé à différentes stratégies d'adaptation, selon la gravité ou les répercussions des réactions. Le message clé de la formation est que tout le monde a la capacité de surmonter ses difficultés personnelles et opérationnelles.

Résultats de l'étude

Des plus de 500 policiers de la GRC ou de services de police municipaux ou provinciaux sondés qui ont participé à des missions de paix internationales entre 2007 et 2014 :

  • 91 p. 100 ont été témoins de misère humaine à grande échelle;
  • 42 p. 100 ont été témoins de souffrances humaines causées par une catastrophe naturelle;
  • 85 p. 100 ont vécu au moins une menace d'attentat;
  • 15 p. 100 ont été grièvement blessés ou ont perdu un ami ou un collègue en mission;
  • 34 p. 100 ont déclaré que les conditions de vie en mission étaient modérément ou extrêmement difficiles;
  • 37 p. 100 ont indiqué que les conditions de travail étaient modérément ou extrêmement difficiles;
  • 49 p. 100 ont eu à gérer une situation stressante à la maison pendant qu'ils étaient en mission;
  • 68 p. 100 ont déclaré que les problèmes de réintégration dans leur famille étaient réglés quatre semaines après leur retour de mission — le taux passe à 92 p. 100 après 12 semaines;
  • 50 p. 100 ont indiqué s'être réadaptés à leur vie professionnelle cinq semaines après leur retour de mission — le taux est passé à 78 p. 100 après 12 semaines.

La plupart des policiers sondés ont indiqué avoir été en mesure de faire face au stress qu'ils ont vécu en mission et de garder un sentiment de maîtrise pendant qu'ils étaient affectés à l'étranger, ce qui témoigne peut-être du fait que des candidats résistants ont été choisis et bien préparés.

L'étude du CLDI a révélé que de nombreux policiers en mission vivent des périodes de grand stress ou de grande déprime même s'ils remplissent efficacement leur rôle en mission.

Toujours selon l'étude, les policiers se tournent d'abord vers leurs pairs lorsqu'ils se sentent tendus ou démoralisés en mission. Cet élément est encourageant puisque le CLDI mise fortement sur le soutien par les pairs en mission. Ces deux dernières années, des psychologues du CLDI ont élaboré un programme à deux niveaux afin de renforcer ce réseau de soutien naturel.

Pendant le cours sur la santé psychologique, chaque membre du contingent qui s'apprête à partir en mission reçoit de la formation de base sur le soutien par les pairs, qui repose sur la phrase « Je suis là pour toi ». Ensuite, on demande à ce que des volontaires deviennent des pairs désignés pour offrir leur soutien pendant la mission.

Ces volontaires reçoivent une formation plus poussée et pourront bénéficier de l'aide d'un psychologue du CLDI à l'aide de Skype, par courriel ou au téléphone, au besoin. En théorie, puisqu'ils seront sur place, leurs pairs pourront facilement s'adresser à eux.

Un soutien ciblé après la mission

Le CLDI favorise la santé mentale des poli-ciers après la mission en facilitant la transition associée à leur retour au pays, en réalisant des évaluations psychologiques et en les informant au sujet de leur réintégration.

À titre d'exemple, le CLDI a mis en place un programme de décompression dans un tiers lieu (DTL) en 2009, pendant la mission de 2005 à 2014 en Afghanistan, là où des policiers canadiens ont formé et conseillé près de 23 000 membres de la police nationale.

La DTL a permis aux policiers affectés en Afghanistan de passer un peu de temps à un autre endroit (dans ce cas précis, à Bad Homburg en Allemagne) avant de revenir au Canada. Étant donné que la mission se caractérisait par une forte cadence opérationnelle, la DTL constituait une transition pour atténuer le stress et préparer le terrain en vue de la réintégration.

Les résultats de l'étude de 2014 portent à croire que le programme de DTL a favorisé la prise de conscience de l'état de santé psychologique et la recherche rapide de soins professionnels. Les policiers de retour d'Afghanistan ont signalé une réaction psychologique (fatigue, irritabilité, hypervigilance) légèrement plus marquée que les participants à d'autres missions dans les semaines qui ont suivi leur retour à la maison. Par contre, il est intéressant de noter que leur taux de congé de maladie prolongé était inférieur.

Cela donne à penser que les policiers envoyés en Afghanistan ont davantage réagi à leur retour, mais qu'ils ont rapidement obtenu de l'aide psychologique et ont pris très peu de congés de maladie prolongés.

L'étude a également permis de confirmer qu'au retour de mission, la réadaptation familiale et professionnelle prend du temps, généralement entre un et trois mois. Il est donc essentiel que les policiers et leurs familles soient informés des problèmes de réadaptation les plus courants.

Le CLDI a récemment conçu un guide de réintégration afin de faire connaître aux policiers, leur conjoint(e) et les autres membres de leur famille les difficultés qui peuvent se présenter après la mission et pour leur suggérer des stratégies utiles afin de relever ces défis.

Bref, l'équipe de Protection de la santé et Mieux-être dans les déploiements internationaux du CLDI s'efforce de favoriser la santé psychologique des policiers et le bien-être de leur famille tout au long du cycle d'une mission. Elle se fonde sur des preuves concrètes pour améliorer la prestation de ses services : elle aspire à cibler ses démarches en intervenant de la bonne façon au bon moment selon les besoins de ses clients.

La GRC gère l'affectation de policiers canadiens à des missions de paix internationales. Ces policiers sont à l'emploi de la Gendarmerie ou de l'un des 26 services de police municipaux ou provinciaux qui participent au programme. Depuis 1989, quelque 3 800 policiers ont participé à 66 missions dans 33 pays. À l'heure actuelle, une centaine de policiers prennent part à des missions au Cambodge, à Haïti, en Ukraine et en Cisjordanie.

Mme Sylvie Bourgeois, Ph. D., est psychologue agréée et dirige le groupe de Protection de la santé et Mieux-être dans les déploiements internationaux de la GRC. Elle gère de nombreuses initiatives de santé au travail pour les policiers qui exercent des fonctions à risques élevés.

M. Paul Munson, Ph. D., est psychologue agréé et chef national des services professionnels en psychologie pour les Forces canadiennes. Il offre des services de consultation au groupe de Protection de la santé et Mieux-être dans les déploiements internationaux de la GRC.

Céline Paris est une psychologue agréée qui travaille pour le Groupe des Services de santé des Forces canadiennes. Elle travaille en cabinet privé et offre des services de consultation au groupe de Protection de la santé et Mieux-être dans les déploiements internationaux de la GRC.

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