Mener un interrogatoire, c'est délicat : il faut chercher la vérité tout en restant sensible à l'expérience de la victime, encore plus avec un enfant. Travis Poland s'est entretenu avec la cap. Michelle Mosher, interrogatrice judiciaire d'enfants au Service des crimes graves de la GRC en Alberta, sur son travail auprès de ces sujets des plus vulnérables.
Pouvez-vous décrire votre travail?
En tant qu'interrogatrice judiciaire d'enfants, je questionne des enfants qui ont été victimes ou témoins d'un crime. L'objectif est de recueillir un maximum d'information pour l'enquête en tâchant de limiter l'aspect traumatisant du processus. J'aborde donc chaque entretien dans le souci d'obtenir ce qu'il me faut du premier coup. On ne pose pas de questions orientées et on se conforme aux pratiques exemplaires dans le domaine.
À quel genre d'enquêtes participez-vous?
À n'importe quelle enquête qui met en cause un enfant, surtout lorsqu'il y a eu un crime grave. On intervient principalement dans les dossiers où un enfant a été victime ou témoin de violence sexuelle ou physique, par exemple dans les cas de violence au foyer, de pédoprédation et de pornographie juvénile.
Quelles compétences faut-il dans ce domaine?
Il est important d'avoir beaucoup d'entregent. Il faut nouer un lien avec l'enfant et faire preuve de compassion et de patience. L'établissement d'une bonne relation étant essentiel à l'entretien, il faut se montrer compréhensif et avoir une bonne écoute. L'enfant doit se sentir à l'aise pour nous parler et s'ouvrir à nous. Il doit pouvoir raconter son histoire sans craindre notre jugement.
Comment faites-vous pour établir un lien positif?
Avant l'entretien, je parle à l'un des parents de l'enfant ou à quelqu'un qui le connaît pour me faire une idée de ses goûts, question de me donner un point de départ. S'il aime le baseball, je lui demande pourquoi. Je peux aussi lui demander de penser à un match en particulier, pour lui donner un exemple des questions que je poserai plus tard. Nous avons récemment commencé à utiliser un chien de thérapie lors des entretiens, ce qui nous donne un autre moyen de briser la glace. Quand l'enfant révèle quelque chose d'important, il peut être utile de le remercier, pour lui faire comprendre qu'il n'y a aucun mal à en parler.
Comment collaborez-vous avec les enquêteurs?
Nous gardons un lien étroit avec l'enquêteur principal, qui explique tous les faits du dossier. Nous lui expliquons le processus d'interrogation, puis il en surveille le déroulement depuis une autre pièce. Après l'entretien, je le présente à l'enfant. De cette façon, s'ils se revoient en cour ou dans la communauté, ils se reconnaîtront. Je soutiens certains aspects de l'enquête, tels que l'interrogation des témoins et la présentation de la preuve.
Quelle relation avez-vous avec les services et les organismes de soutien pour enfants?
Nous travaillons de près avec les services aux enfants et aux victimes ainsi qu'avec les intervenants de soutien judiciaire du centre d'appui aux enfants. Les mandats sont différents, mais l'objectif général est le même : veiller à ce que les victimes aient le soutien et les services dont elles ont besoin pour réussir dans la vie.
À quelle fréquence procédez-vous à des entretiens?
Au Caribou Child and Youth Centre de Grande Prairie (Alberta), où je travaille, nous avons eu plus de 90 entretiens au cours des cinq premiers mois de 2019. Les chiffres varient, mais en général, de trois à cinq dossiers nous sont envoyés chaque semaine. L'an dernier, neuf interrogateurs à temps plein répartis dans toute la province ont procédé à 1 200 entretiens.
Quelles difficultés votre travail présente-t-il?
Il est dur de savoir que la maltraitance persiste. Nous sommes fiers de faire avancer les choses avec les centres d'appui aux enfants, mais nous nous demandons toujours comment prévenir ce genre de situation et comment offrir un soutien. C'est un domaine d'enquête qui vaut la peine, et il reste encore beaucoup de travail à faire.