Chez les jeunes, il s'écoule souvent un long laps de temps – dix ans en moyenne – entre l'apparition des signes et symptômes d'un trouble de santé mentale et une intervention concrète. L'accès retardé à un traitement peut avoir une incidence néfaste sur les années cruciales de développement d'un jeune; par contre, l'aiguillage précoce vers un traitement pourrait réduire le risque de démêlés avec la justice et d'échecs scolaires.
Selon les études, près de 70 p. 100 des deux millions de jeunes arrêtés chaque année aux États-Unis souffrent de troubles de santé mentale. Les jeunes aux prises avec la maladie mentale et qui ont des démêlés avec la justice pour des infractions mineures et non violentes font souvent l'objet d'instances formelles parce que leurs troubles n'ont pas été traités.
Les taux d'arrestation sont particulièrement élevés chez les décrocheurs du secondaire qui ont des troubles de santé mentale non diagnostiqués ou non traités. Les études montrent que près de 75 p. 100 de ces jeunes sont arrêtés dans les cinq ans suivant leur décrochage. À la lumière du nombre disproportionné de jeunes ayant des démêlés avec la justice qui répondent aux critères de personnes souffrant de troubles mentaux (70 p. 100 contre 20 p. 100 de la population générale), il est opportun pour les policiers de prendre des mesures appropriées lorsqu'ils interviennent auprès de jeunes.
En 2013, près de 22 000 jeunes ont été arrêtés à Chicago. Les policiers jouent un rôle déterminant lorsqu'ils sont les premiers intervenants dans les situations de crise, dans la mesure où ils peuvent soustraire les jeunes à l'appareil de justice pénale et les aiguiller vers un fournisseur de soins.
Afin de mieux préparer ses agents à répondre aux besoins de la population, le Service de police de Chicago (SPC) a adopté une formation en intervention auprès des jeunes en situation de crise (Crisis Intervention Team for Youth, dite CIT-Y). En collaboration avec la National Alliance on Mental Illness de Chicago, le SPC a élaboré un programme pour enseigner aux policiers les moyens de repérer les jeunes en situation de crise et d'évaluer le risque que ces derniers portent préjudice à eux-mêmes ou à autrui, tout en appliquant des techniques d'atténuation des crises.
Équipes d'intervention en situation de crise
Les équipes d'intervention en situation de crise (EISC) sont constituées de premiers intervenants dûment formés de la police ainsi que de partenaires d'organismes communautaires, de services de soins de santé et de soutien. Le modèle d'EISC auprès d'adultes a vu le jour à Memphis (Tennessee) en 1988; aujourd'hui, on compte environ 2 500 équipes aux États-Unis.
Le SPC a amorcé la formation d'équipes d'intervention auprès d'adultes en 2004. En 2010, le SPC a retenu l'attention du pays en offrant le premier cours de cinq jours
(40 heures) axé sur les jeunes : CIT-Y. Il s'agit d'un cours avancé à l'intention des policiers qui ont déjà suivi la formation d'intervention auprès d'adultes en crise. Grâce à une subvention fédérale, le programme a offert 16 séances de formation CIT-Y entre 2011 et 2014, et ce, à plus de 600 policiers.
Le modèle CIT-Y repose sur une collaboration entre les policiers, le personnel scolaire, les parents et les fournisseurs de soins de santé communautaires. La formation et les techniques sont encadrées par deux directives du SPC : la première établit le programme CIT-Y et la seconde en définit les modalités.
La formation a pour objectifs :
- d'éviter aux jeunes l'appareil de justice pénale en les aiguillant vers des services de traitement communautaires;
- de sensibiliser les policiers aux signes et symptômes de troubles de santé mentale chez les jeunes;
- de favoriser des interactions sûres entre la police et la population durant les situati-ons de crise mettant en cause des jeunes;
- de favoriser l'aptitude des policiers à évaluer les risques que les jeunes posent pour eux-mêmes et pour autrui, et à appliquer les techniques d'atténuation des crises pertinentes;
- de sensibiliser les policiers aux directives de leur service précisant les interventions appropriées en situation de crise.
Pour ce faire, les membres du CIT-Y ont élaboré 18 modules de formation. Selon les agents de l'équipe, les modules les plus utiles portaient sur le groupe consultatif de ressources communautaires et l'évaluation des risques et l'atténuation des crises; le moins utile était le module sur les médicaments psychotropes, jugé trop technique.
Équipe d'intervention auprès des jeunes en crise
Le personnel CIT-Y a élaboré 18 modules de formation visant à aider les agents du SPC à intervenir auprès des jeunes en crise :
- Introduction, aperçu des enfants et des adolescents concernés
- Développement du cerveau chez l'enfant et l'adolescent
- Signes et symptômes de troubles de santé mentale chez les jeunes
- Incapacités et troubles du développement
- Médicaments psychotropes
- Violence et traumatismes urbains
- Adolescents et gangs
- Évaluation des risques et atténuation des crises
- Parents et enseignants, nos alliés
- Troubles d'automutilation
- Toxicomanie et troubles cooccurrents
- Perspective de la famille
- Intégration harmonieuse à l'école
- Procédures du service en cas de circonstances extraordinaires
- Procédures du service concernant les situations de crise en santé mentale
- Violence à l'école et tireurs fous
- Groupe consultatif sur les ressources communautaires
- Q et R — scénarios mettant en scéne des troubles de santé mentale
L'autorité en information de justice pénale de l'Illinois a procédé à deux évaluations de la formation CIT-Y, en 2011 et en 2012, par voie d'un sondage sur le cours, d'un test du programme de formation et de groupes de consultation tenus six mois après la formation.
Le sondage évaluait la satisfaction des po-liciers à l'égard du programme de formation, le test du programme mesurait les connaissances des policiers relatives aux troubles de santé mentale chez les jeunes et aux interventions appropriées; enfin, les groupes de consultation rendaient compte de l'application des techniques d'intervention sur le terrain.
L'évaluation effectuée après deux ans portait sur les policiers non formés au modèle CIT-Yafin d'évaluer leurs connaissances des troubles de santé mentale chez les jeunes et des interventions auprès de ceux-ci par rapport à celles des policiers ayant été formés au modèle. Les évaluateurs ont relevé les atouts du programme ainsi que les difficultés éprouvées par les agents à mettre en pratique les techniques du modèle.
Mise en œuvre
Les évaluateurs ont constaté que les policiers étaient très satisfaits du programme de formation CIT-Y, le jugeant très pertinent et instructif. La formation leur a permis de rehausser considérablement leurs connaissances relatives à l'évaluation des risques, aux techniques d'atténuation des crises et aux protocoles de police à appliquer dans les interventions auprès de jeunes en crise.
De plus, les policiers formés au CIT-Y ont signalé que la formation les aidait à repérer les signes et symptômes de maladie mentale et que les jeunes les manifestant étaient moins enclins à avoir des démêlés avec la justice lorsqu'ils étaient appréhendés par un policier rompu au modèle.
Un des participants déclare : « J'ai été en mesure d'aiguiller des parents vers un hôpital communautaire plutôt que d'ouvrir un dossier criminel. » Les participants aux groupes de consultation ont dit appliquer les techniques du modèle presque quotidiennement.
Les entrevues auprès de policiers formés au CIT-Y ont également mis en lumière les difficultés éprouvées dans l'application des techniques sur le terrain. Des policiers ont souligné notamment l'absence d'appui de leur service.
De même, des participants ont relevé des conflits entre les modes d'intervention de po-liciers rompus au modèle et ceux de policiers non formés.
Un autre participant déclare : « La plus grande difficulté provient des autres agents qui n'ont pas suivi la formation au CIT-Y. Nous étions aux prises avec un ado de 14 ans pointant un couteau vers sa grand-mère. J'ai pu désamorcer la crise en lui parlant, mais d'autres policiers voulaient le neutraliser à coup de Taser. Ils pensaient qu'il était un voyou avec des troubles de comportement, mais en fait, il avait cessé de prendre ses médicaments. »
Un obstacle à l'application de ces techniques était l'absence de sensibilisation de la part du service de police et du public. Le répartiteur n'attribuait pas nécessairement les demandes d'intervention à des agents formés, et les citoyens ne savaient pas nécessairement qu'il existait des policiers compétents en la matière. De plus, certains policiers ont dit ne pas obtenir la collaboration des admi-
nistrateurs, des enseignants et des agents de sécurité dans les écoles. En fait, le personnel scolaire contestait souvent la pertinence des techniques d'intervention des équipes CIT-Y.
Évaluations futures
Parmi les mesures recommandées, citons l'amélioration des connaissances des policiers relatives aux signes et symptômes de troubles de santé mentale chez les jeunes et un soutien accru de leur service d'attache. On a également suggéré une formation de rappel pour les policiers déjà formés et la prestation d'une formation au début des quarts de travail pour le personnel de district.
L'évaluation du modèle CIT-Y se poursuivra en vue de déterminer les caractéristiques des situations de crise, d'évaluer la prévalence des demandes d'intervention en la matière, de déterminer la mesure dans laquelle on affecte des policiers formés aux situations de crise, et d'examiner les interventions du SPC dans les situations de crise ainsi que l'utilité de la formation.
Le rapport, intitulé Evaluation of Chicago Police Department's Crisis Intervention Team for Youth training: Year 1, peut être consulté à l'adresse : http://www.icjia.state.il.us/public/.
Le rapport Evaluation of Chicago Police Department's Crisis Intervention Team for Youth training: Year 2, sera publié à l'été 2015 et sera accessible en ligne au site de l'ICJIA.