Le nouveau message véhiculé par l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé en C.-B. (UMECO-C.-B.) est sans équivoque : si vous êtes impliqué dans des activités de gang violentes et avez une arme à feu, vous n'êtes pas le bienvenu en C.-B.
L'UMECO existe depuis 2004 en C.-B., mais lorsque le surint. pr. Dan Malo en a pris la direction en 2012, il a apporté des changements importants. Plutôt que d'axer la répression sur la dimension matérielle de la criminalité des gangs, comme le trafic de drogues et le blanchiment d'argent, comme cela avait été le cas jusqu'ici, l'unité concentre ses opérations strictement sur les comportements de violence.
« C'est un mandat très spécifique, explique le surint. pr. Malo. C'est la mesure étalon de notre rendement - les enlèvements, les fusillades au volant, l'extorsion, entre autres actes de violence qui caractérisent la vie des gangs; tel est l'objet de notre répression, une fonction unique au pays. »
Telle est la réponse de l'unité à une menace grandissante pour la sécurité publique dans la province. En l'espace de dix ou douze ans, avec un point culminant entre 2006 et 2008, quelque 115 jeunes ont été tués lors d'actes de violence et de fusillades par les gangs.
La campagne End Gang Life
De toute évidence, la province avait besoin d'une initiative novatrice pour aborder le problème.
Par conséquent, lorsque le serg. Lindsey Houghton a été affecté à l'UMECO de la C.-B. vers le même moment que le surint. pr. Malo, on lui a confié la tâche de revitaliser les stratégies de mobilisation et de sensibilisation publiques.
Sa solution : End Gang Life, une campagne de sensibilisation et de répression lancée en décembre 2013.
« Nous avions relevé des lacunes dans nos stratégies de mobilisation et de sensibilisation, souligne le serg. Houghton. Nous avons réfléchi aux possibilités, et l'image d'un puzzle m'est apparue - et ce fut le point de départ de la campagne. »
La stratégie consiste à mobiliser le public et les médias, faire des exposés dans les écoles secondaires, démystifier la vie dans un gang et produire des affiches, des messages d'intérêt public à la télévision et à la radio. Ces éléments viennent compléter les opérations de l'équipe antigang de l'UMECO axées sur la perturbation des activités des gangs et la répression de leur violence.
La campagne comportera plusieurs phases, d'une durée de quatre à six mois chacune. La première cible les gens directement impliqués dans les gangs et le crime organisé qui ont des enfants et de la famille, ainsi que les personnes en périphérie des gangs et les membres de leur famille. Cette phase vise également à mobiliser le public.
Une démarche coopérative
Plutôt que d'avoir plusieurs organisations qui abordent cet enjeu de façon indépendante, l'UMECO de la C.-B., elle-même constituée d'agents de 14 services de police dans la province, collabore avec des organismes universitaires et des groupes communautaires dans une démarche synergique pour réprimer la violence des gangs dans la région.
« Nous cherchons à troubler les gens pour mieux les mobiliser, explique le serg. Houghton. Nous voulons stimuler le débat sur cette question dans la collectivité, inciter les gens à en avoir assez, et à vouloir chasser ce fléau de leur localité. »
Au fil des ans, c'est ce qu'ont fait plu-sieurs collectivités. Ce sont ces groupes, et non la police, qui se sont mobilisés.
À titre d'éducateur et de militant communautaire, Balwant Sanghera s'inquiétait de ce qui arrivait aux jeunes Indo Canadiens dans la région. Constatant une intensification de la violence dans la localité, il s'est senti obligé de s'élever contre celle-ci.
En 2002, en collaboration avec un ancien policier et des responsables de temples sikhs, ainsi que d'autres organisations communautaires, il a formé les Sikh Societies of Lower Mainland pour aborder le problème; avec l'adhésion d'autres entités, l'organisation est devenue depuis la South Asian community Coalition Against Youth Violence (SACCAYV).
« Grâce à ce partenariat, nous avons contribué à changer les choses, souligne M. Sanghera. C'est un honneur pour moi et pour la SACCAYV de prendre part à cette initiative communautaire grâce à laquelle les citoyens, le police et les chercheurs universitaires collaborent pour maintenir les jeunes dans le droit chemin. »
Gira Bhatt, Ph.D., professeure à la fa-culté de psychologie à l'Université Kwantlen à Surrey, est partenaire de la SACCAYV et de l'UMECO C.-B.. En tant que directrice du projet Acting Together : Community University Research/Alliance (AT CURA), elle dirige une équipe de sept chercheurs universitaires et de 11 organismes communautaires dans une démarche novatrice destinée à prévenir l'adhésion des jeunes aux gangs.
« En tant qu'institution universitaire, nous avons toujours préconisé la collaboration communautaire, explique Mme Bhatt. Nous avons formé un groupe de concertation; agréablement surpris de la participation, nous avons déterminé qu'un partenariat entre l'université et les orga-nismes communautaires s'imposait. »
Le projet AT CURA a reçu une subvention d'un million de dollars de la CURA pour mener des recherches dans les écoles secondaires et les universités sur la force des gens en appliquant la psychologie positive plutôt que d'évaluer les facteurs de risque, qui ont fait l'objet de maintes études.
« La majorité de nos jeunes ne sombrent pas dans un mode de vie criminel, explique Mme Bhatt. Notre localité est très proactive et florissante à Surrey. Alors, pourquoi ne pas examiner ce groupe pour mieux comprendre ce qui les prémunit contre une vie de crime et de violence? »
Le serg. Houghton a travaillé avec AT CURA pour déterminer le segment cible et la façon de l'aborder dans la campagne End Gang Life.
Sévir contre les gangs
Le surint. pr. Malo prévoit que cette nouvelle démarche de la campagne réduira de beaucoup les crimes violents dans la province. L'unité constate déjà une diminution du nombre d'homicides en 2014 par rapport aux années précédentes.
« Nous frappons à leurs portes. Nous leur disons que nous savons qu'ils sont des membres de gangs violents et ce qu'ils font dans notre collectivité. Nous entendons les empêcher de réaliser des profits et anéantir leur capacité d'exercer leurs activités. Nous allons mobiliser le public et leurs familles contre eux. Nous promettons de soutenir cette vigilance d'ici à ce qu'ils modifient leur comportement », prévoit le surint. pr. Malo.
Ce dernier prédit l'une des quatre issues suivantes pour tous ceux qui sont impliqués dans un gang, par suite de la campagne End Gang Life et des interventions de l'unité : les délinquants violents finiront derrière les barreaux, ils se feront abattre, ils quitteront la province ou ils délaisseront le mode de vie des gangs, l'issue la plus souhaitable.
« Que l'une ou l'autre de ces issues se matérialise, et on peut raisonnablement prévoir une diminution de la criminalité des gangs. Ce qui entraînera finalement un rendement favorable de l'investissement consenti par l'UMECO C.-B. et une sécurité accrue dans nos collectivités », dit Malo.
La campagne End Gang Life, qui allie sensibilisation et répression, produit déjà des résultats. Dans une descente récente au domicile d'un chef de gang, l'équipe antigang a eu la surprise de trouver au mur une affiche de la campagne illustrant une fillette assise sur une balançoire au dessus d'un corps recouvert d'une bâche jaune avec pour légende le message suivant : Are you going to be there when she needs a push? (trad. : Serez-vous là lorsqu'elle aura besoin d'un coup de pouce?)
Le membre a éclaté en sanglots et a dit qu'il ne voulait pas que sa fille grandisse sans son père; il a alors demandé aux agents de l'aider à s'en sortir.
Le serg. Houghton a conçu ses affiches percutantes afin d'avoir le plus d'effet possible sur l'auditoire cible.
D'après les recherches d'AT CURA, on a déterminé le segment de population à cibler dans la première phase, et les meilleurs moyens d'influencer celui-ci.
Jordan Buna, un ancien membre de gang dans le Lower Mainland qui collabore aujourd'hui avec AT CURA, a passé l'affiche en revue. Selon lui, la plupart des messages visant les gangs disent qu'on ira en prison ou qu'on se fera abattre, ce qui n'est pas très efficace puisque les membres le savent déjà - cela fait partie du jeu. La campagne touche une corde sensible.
« Je sais pertinemment que pour beaucoup de types, la fibre humaine est pratiquement anéantie; là où ils peuvent encore ressentir une parcelle d'humanité, c'est lorsqu'ils ont des enfants », explique Jordan Buna.
Les prochaines phases, tout aussi ciblées, viseront les jeunes ou des cultures particulières, comme la communauté sud asiatique. Au besoin, on élaborera un volet tablant sur un incident donné dans la communauté en question.
Une nouvelle race de membre
Que la solution provienne de l'UMECO de la C.-B., d'AT CURA ou de la collectivité, elle devra être adaptée au contexte local et fondée sur les études réalisées dans la pro-vince pour réprimer la violence.
En Colombie-Britannique, les gangs se distinguent des bandes présentées au petit écran, qui obéissent à la loi « tu restes ou tu meurs » et se confinent dans leur territoire. Leurs effectifs se composent plutôt de membres de différentes races, intelligents et mobiles, d'où la nécessité d'une solution adaptée.
« Ils ne sont motivés ni par le statut socioéconomique ni par l'ethnicité; ils ne répondent qu'à un seul impératif, faire le plus d'argent possible, le plus vite possible », explique le serg. Houghton.
« Dans ma jeunesse, je m'efforçais d'éviter les ennuis, souligne Jordan Buna. Je suis issu d'une famille unie de classe moyenne. »
C'est strictement l'appât du gain qui m'a incité à embrasser le mode de vie des gangs à l'adolescence et au début de la vingtaine.
Les membres de gangs de la C.-B. se font tuer dans des endroits comme le Mexique. Certains parcourent la planète pour exploiter leur entreprise criminelle. Ils se font arrêter qui en Espagne, qui aux Philippines.
Ils sont d'origines ethniques multiples et fonctionnent à la façon d'une entreprise en expansion à l'échelle de la province, du pays et de la planète.
« J'ai discuté avec des universitaires durant l'élaboration du programme, précise le serg. Houghton. Une notion revenait constamment : les collectivités n'ont pas nécessairement un « problème de gang »; le problème est à l'échelle de la province, mais les collectivités en font partie. »
La prochaine étape
L'UMECO C.-B. espère qu'un nombre accru de collectivités s'élèveront contre la violence des gangs. À cause de la médiatisation constante des fusillades et des massacres, le surint. pr. Malo estime que le public se désensibilise au problème. Il pense que la campagne End Gang Life et une couverture médiatique ciblée permettront de mobiliser davantage les citoyens.
« Si la police collabore plus efficacement avec la collectivité et que nous envisageons un système d'intervention communautaire, notre démarche prendra son envol », souligne le surint. pr. Malo.
Ce faisant, tous les groupes concernés vont continuer à mettre leurs ressources, leur expertise et leur expérience en commun pour rendre la collectivité plus sûre pour tous.
« Aucun groupe ne peut faire cavalier seul, peu importe ses moyens, explique Mme Bhatt. La police a besoin de la collectivité, la collectivité a besoin de l'école, et l'école a besoin des responsables politiques. Le partenariat est essentiel. »
On a besoin parfois d'un peu de magie
À Enoch, une petite ville près d'Edmonton (Alberta), des mères et des aînés font équipe avec la GRC pour éloigner les jeunes des gangs.
Selon la gend. Kim Mueller du Détachement de Stony Plain-Spruce Grove, comme dans bien des communautés autochtones, les gangs tentent de recruter en ciblant les enfants qui sont attirés par le mode de vie des gangs et le sentiment d'appartenance et de pouvoir qui y est associé.
Le programme Mothers Against Gangs in Communities (MAGIC) a été mis sur pied pour que les jeunes échappent aux griffes de ces groupes.
« Je crois que d'accompagner les enfants pour qu'ils aient un bon départ dans la vie est le moyen le plus rapide de remettre les collectivités sur pied », affirme la gend. Mueller, une des responsables de l'initiative à la GRC.
Elle explique qu'au début, il était difficile de mobiliser les membres de la communauté, qui craignaient de nommer des jeunes à risque par peur de représailles des gangs. Maintenant, la collectivité appuie le programme, auquel sont inscrits neuf adolescents de 14 à 17 ans.
« Nous savions que le projet devait être celui des citoyens et que ceux-ci devaient y contribuer, ajoute la gend. Mueller. Nous jouons un rôle collaboratif et non directif. »
Des activités éducatives, culturelles et divertissantes sont organisées pour les jeunes afin de leur montrer des avenues autres que celles des gangs.
Un an après le début du projet pilote de deux ans, on constate les effets positifs du travail d'accompagnement sur les garçons.
« Au début, ils étaient fiers de tous les mauvais coups qu'ils avaient faits jusque-là, raconte la gend. Mueller. Ils n'avaient aucun rêve et n'entrevoyaient rien de bon pour leur vie. On commence à les voir pla-nifier leur avenir et se fixer des objectifs, c'est génial. »
– Deidre Seiden