À première vue, on croirait que forcément le travail policier en milieu rural diffère autant de celui en milieu urbain que les paysages qu'offrent ces milieux. Mais en réalité, quelle que soit la taille de la population, on trouve des similitudes. Deidre Seiden a demandé aux chefs de quatre détachements de la GRC de parler de leur travail, des compétences qui les servent et de l'expérience sur laquelle ils misent pour diriger leurs détachements.
Les chefs de détachement
Milieu urbain
- Surint. Deanne Burleigh, Détachement régional d'Upper Fraser Valley, cinq localités, population de plus de 100 000 habitants, Chilliwack (C.-B.)
- Surint. Don McKenna, Détachement de Grande Prairie et Beaverlodge, population de 95 000 habitants, Grande Prairie (Alb.)
Milieu rural
- Serg. Brian Auger, Détachement de Nelson House, population de 2 800 habitants, Nelson House (Man.)
- Serg. Peter Stubbs, Détachement de St. Stephen, trois localités, population de 15 000 habitants, St. Stephen (N.-B.)
Quelles aptitudes et compétences vos policiers doivent-ils avoir?
Brian Auger : Je viens de boucler 35 années de service, dont plus de 30 dans des Premières Nations, étant moi-même d'une Première Nation, et j'ai vu avec le temps que pour être utile à la communauté, il faut s'y être intégré. Chacun a ses forces, son sens de l'humour par exemple, et ça ouvre des portes. Loin de la ville, on a le temps de connaître les gens, de serrer des mains, de dire bonjour. Dans une petite localité, les gens savent qui nous sommes.
Peter Stubbs : Dans mon milieu comme dans celui de Brian, il est important de se faire une place dans la communauté. Il faut aussi pouvoir interagir positivement avec la population. Récemment, un de nos membres en patrouille s'est arrêté pour jouer au basket avec des jeunes. De l'autre côté de la rue, une femme l'a filmé avec son téléphone. Le temps de le dire, on s'est mis à m'appeler de partout pour savoir qui était ce policier. Ce sont des petites choses qui ont un gros impact.
Il y a quatre postes-frontière dans mon détachement. Neuf mois par année, pour rejoindre l'un des postes satellites, il faut conduire 45 minutes en territoire américain. De là, les seuls renforts en cas de besoin sont souvent de Pêches et Océans ou de l'Agence des services frontaliers, alors on soigne ces relations et on compte les uns sur les autres.
Deanne Burleigh : La communication et la mobilisation envers la population sont essentielles. Chez nous, il faut aussi compter sur la présence et sur la sécurité des policiers. On trouve des armes et des drogues partout. Les membres doivent savoir comment manipuler la drogue dans la rue, avec beaucoup de précaution.
Il faut faire preuve de souplesse, pouvoir passer très rapidement d'un appel à l'autre, savoir écrire aussi, parce qu'on transmet de très nombreux rapports aux procureurs. Et bien sûr, l'an dernier nous avons connu sept meurtres à Chilliwack, de sorte que nos membres ont dû apprendre à gérer les lieux de crimes.
Quelles sont les priorités de votre détachement?
DB : Ma première priorité est l'itinérance et le vagabondage. Les sans-abris, qui étaient moins d'une centaine en 2014, sont mainte-nant près de 300 en 2017. Nous misons sur la coordination. Nous nous faisons voir. Nous patrouillons à pied plusieurs fois par jour. Nous nous coordonnons avec nos partenaires locaux, parmi lesquels une infirmière en santé mentale. Mes autres grandes priorités sont la toxicomanie et la santé mentale.
PS : Nous avons peu d'itinérants à St. Stephen. C'est différent, en milieu rural, nous avons d'autres priorités. L'une de nos grandes priorités est la toxicomanie. Avant, on pouvait passer des mois sans exécuter de mandat de perquisition. Nous en exécutons maintenant deux ou trois chaque mois. Ça peut paraître banal, mais pour nous, c'est préoccupant.
Notre autre grande priorité, étant donné les attentes de la population, est la sécurité routière. En avril, nous avons mené une opération Distraction au volant et porté des accusations contre 32 chauffeurs. Question de perspective, permettez-moi de rappeler que les quelque 500 membres que compte la province ont émis en moyenne
76 constats d'infraction par mois en 2016.
BA : La violence conjugale est un fléau chez nous et elle est habituellement associée à l'alcool.
Nous ciblons la génération suivante, à l'école, pour parler de relations amoureuses. Nous avons un succès mitigé, puisque nous recevons encore chaque semaine une demi-douzaine d'appels pour de la violence conjugale. C'est notre cheval de bataille et ça le sera encore dans les années à venir.
Don McKenna: Nous avons aussi un problème de toxicomanie. Ces deux dernières années, notre ville figurait au premier rang de l'indice de violence criminelle parmi les villes de 50 000 de population, au chapitre de la criminalité et des crimes violents. Nous nous y sommes attaqués. Nous avons étudié ce que d'autres détachements faisaient. À l'époque, nous avions 115 policiers par 100 000 de population, alors que la moyenne nationale est de 194 et la moyenne divisionnaire, de 170. Nous avions beaucoup de novices et nos quarts manquaient d'effectifs.
À l'automne 2015, j'ai rencontré le conseil municipal et lui ai dit que nous serions bientôt au premier rang de tous les tableaux de l'indice de gravité de la criminalité. Il y avait déjà eu sept meurtres et toute la criminalité liée à la drogue. J'ai fait valoir que nous avions besoin d'une section antidrogue et d'une équipe de réduction de la criminalité.
La population est derrière nous. Nous avons obtenu ces ressources ainsi que quatre membres de plus chaque année. Nous nous en sommes servis pour faire diminuer la criminalité. Nous serons toujours dans les dix premiers, probablement, mais je serais satisfait d'une sixième place.
Quels sont les avantages de travailler en ville ou à la campagne?
DB : En ville, on a toujours des renforts. On n'est jamais seul. On a la technologie, le matériel et les laboratoires. On a le soutien des services de police municipaux voisins. On a une équipe cynophile, des enquêteurs en homicides, des spécialistes de l'identité judiciaire. On a tous ces services au bout des doigts.
PS : J'ai travaillé dans les deux contextes. Pour moi, un des avantages du milieu rural est que le membre garde le contrôle de ses dossiers, c'est lui qui mène son enquête jusqu'au bout. Il gagne ainsi une solide expérience d'enquête, puisqu'il n'y a personne pour lui enlever son dossier.
DM : En ville, on jouit d'un peu d'anonymat. Dans une ville de 70 000 habitants, tes jours de congé t'appartiennent, ce qui n'est pas le cas dans un village. J'aime travailler dans les villages, mais on t'y reconnaît toujours.
Et qu'en est-il des difficultés à surmonter?
DB : Les ressources.
PS : Absolument.
DM : Avoir les ressources humaines est toujours la plus grande difficulté. Il faut veiller à donner aux membres suffisamment de soutien.
PS : Je suis sûr que c'est vrai dans tout le pays. Les absences temporaires, pour congé parental, maladie ou blessure, par exemple, pèsent lourdement sur mon détachement. On manque de monde. C'est mon principal problème actuellement.
BA : C'est un problème dans tout le pays. Quand il te manque deux ou trois membres, tous les autres doivent en faire plus, et ils le font pour la plupart. Mais on les voit se brûler. J'essaie de leur donner du temps pour s'en aller. Le membre qui travaille ici, s'il veut aller à Winnipeg, il a besoin de quelques jours. Je dois pouvoir lui donner congé pour qu'il puisse s'éloigner.
C'est rassurant de savoir que les membres mettent l'épaule à la roue et prennent les quarts à combler, même si c'est à temps double. C'est le travail qui le commande.
Que faites-vous pour soutenir vos membres?
PS : Je fais tout ce que je peux, surtout pour leur faciliter la conciliation travail-famille, pour leur santé mentale. On a commandé plus d'équipement pour le gymnase et établi des normes. Ainsi, si le membre est à jour dans ses dossiers et qu'il y a au moins deux membres sur la route, il peut aller s'entraîner au gymnase pendant son quart de travail.
À titre de sergent, je fais connaître les préoccupations de mon équipe et je ne me gêne pas pour parler ouvertement à la gestion supérieure des problèmes que nous éprouvons. Mais je dois aussi essayer de trouver des solutions à lui proposer au nom des membres.
DB : Dans le Lower Mainland, nous déployons un nombre minimal de voitures de patrouille. Nous comblons les absences temporaires au moyen des heures supplémentaires, afin d'atteindre le minimum, d'assurer la sécurité de tous et d'éviter l'épuisement. Je tiens des cérémonies de remise de prix et de certificats de reconnaissance, des barbecues, le genre d'activités qui semblent motiver nos gens.
DM : Nous avons le devoir de montrer aux membres qu'ils sont dans une grande organisation. La GRC a une riche histoire et j'aime le rappeler. Il n'y avait pas eu de dîner au mess depuis des années lorsque je suis arrivé. Nous en avons organisé un. L'an dernier, nous y avons reçu Gavin Crawford de l'émission This Hour Has 22 Minutes comme conférencier invité. Il faut perpétuer les grandes traditions de la GRC.
Comment votre expérience vous a-t-elle préparé à diriger un détachement?
PS : Je m'intéresse à mon monde et à leur perfectionnement, et ça les motive. J'ai beaucoup appris à la GRC, et c'est ce que j'ai retenu de mes meilleurs patrons. Ils s'intéressaient à moi et ça m'amenait à travailler plus. J'essaie de m'intéresser à tous les membres de mon équipe, à leur perfectionnement et à leurs objectifs.
DB : Ça ne suffit pas de connaître les membres, il faut savoir ce qu'ils vivent. J'ai toujours dit que je pourrais passer mes journées à parler aux membres sans faire mon travail. Mais en fin de compte, je gagne à parler aux membres, et mon travail se fait! Aussi quand un membre est en congé de maladie, je me fais un devoir de l'appeler. Quand un membre peine avec son plan d'apprentissage, je le rencontre pour en parler. Je participe aux rencontres avec les cadets, j'appuie toute la formation possible et j'obtiens le matériel que les membres demandent.
BA : Je veux mobiliser les membres. On m'a envoyé des cadets. Ils s'ennuyaient chez eux, à attendre qu'arrive leur prochain quart. Ils ne sont pas censés prendre la motoneige ou le tout-terrain, mais je les invite à le faire. Je leur dis de ne pas se blesser, mais d'en profiter et d'apprendre. Qui sait, peut-être qu'un jour, ils vont devoir intervenir en suivant la piste. Et je continuerai à faire ça tant que j'aurai des cadets qui s'ennuient. C'est moi qui suis responsable, et j'ai confiance qu'ils ne se mettront pas ko. Ils sortent et apprennent ce qu'ils doivent savoir.
DM : Je pense comme Brian en matière de risque et de peur du risque. Une sortie en motoneige est un risque réel et calculé qu'on peut prendre : les membres l'apprécient. Chaque fois qu'ils interviennent, ils prennent des risques. Notre travail d'administrateurs, c'est de gérer le risque.
J'ai aussi appris qu'il ne faut jamais réprimander quelqu'un en public. Une erreur est une occasion d'apprendre. Parfois, il faut prendre des mesures disciplinaires, mais on n'en fait pas un plat ni une menace constante. Lorsqu'un employé fait une erreur, on lui donne la chance de la corriger, puis on lui en parle. En 28 années de carrière, j'ai appris bien plus de mes erreurs que de ce que j'ai réussi du premier coup.