Les catastrophes récentes survenues au pays et à l'étranger ont souligné la nécessité pour les premiers intervenants d'avoir une formation et le matériel appropriés pour y faire face. La question qu'il faut se poser est la suivante : « Sommes-nous prêts à intervenir dans de telles situations? »
Au Canada, la majorité des services de police, d'incendie et d'ambulance profitent d'une formation de haut calibre. Comme on l'a vu récemment en Alberta avec les incendies à Fort McMurray, une catastrophe d'envergure taxe considérablement les organismes chargés de la protection des citoyens.
D'autres catastrophes non naturelles, comme l'écrasement d'un avion faisant de multiples victimes, malgré leur rareté, posent des difficultés considérables aux autorités locales. L'un des aspects d'une catastrophe d'envergure qui est peu souvent abordé, est la récupération des corps. Après l'intervention initiale, les équipes d'experts judiciaires sont déployées pour récupérer et identifier les restes humains et pour consigner les preuves criminelles éventuelles.
Récupération du corps des victimes
Si les spécialistes de l'identité judiciaire sont rompus à traiter avec des personnes décédées, composer avec les multiples victimes d'un incident pose des difficultés particulières. La formation administrée aux agents de l'identité judiciaire canadiens comprend un cours théorique de deux semaines au Collège canadien de police (CCP), mais ne prévoit pas de cours pratique. Cette lacune a été comblée l'été dernier avec la tenue d'un atelier pragmatique.
Des catastrophes d'envergure comme le tsunami survenu en Asie du Sud en 2004, le séisme en Haïti en 2010 et plus récemment, l'écrasement d'un Boeing 737 de la First Air dans l'Arctique canadien ont mis en lumière l'importance d'une préparation, d'une formation et d'une planification rehaussées pour les équipes d'experts judiciaires du pays.
Parmi les facteurs à prendre en considération, citons le matériel spécialisé. Avoir à sa disposition un grand véhicule motorisé pour poste de commandement peut être adéquat dans un environnement urbain, mais non dans un endroit isolé en forêt ou en montagne. Comme on l'a vu dans le passé, les écrasements d'avion surviennent souvent dans des endroits difficiles d'accès. Il sera utile pour les services des secteurs non urbains de disposer des grandes tentes pour servir de poste de commandement, ainsi que de génératrices et de divers éléments de matériel portatif.
La présence de particules atmosphériques de carbone et de fibre de verre issues du fuselage calciné des aéronefs récents figure parmi les plus graves dangers dans les sites d'écrasement. Dépourvus de l'équipement de protection individuel approprié, les intervenants et les enquêteurs policiers s'exposent à des risques graves pour leur santé et leur sécurité.
Les experts de l'identité judiciaire nécessitent aussi une formation particulière pour traiter les incidents de ce genre. Depuis l'examen des lieux jusqu'à la gestion des restes humains, il faut établir des procédures et s'y exercer avant d'intervenir sur les lieux d'un incident réel.
Il y a plusieurs années, INTERPOL a constaté des écarts importants d'un État à l'autre dans les modalités de coordination et de traitement des décès par suite d'une catastrophe d'envergure. Afin d'uniformiser les procédures, on a adopté une politique relative à l'identification des victimes de catastrophes (IVC).
Afin d'étendre la connaissance de ces procédures et politiques parmi les services de police, de coroners et de médecins légistes au Canada, on a organisé le Southern Alberta Disaster Exercise (SADEX) en juin 2016. Il s'agissait d'un exercice pragmatique pour permettre aux experts judiciaires et aux enquêteurs chargés de la reconstitution des accidents de la route de traiter les lieux d'une catastrophe simulée ayant fait de multiples victimes.
L'exercice a réuni des services de police de l'Alberta, de la Saskatchewan et de l'Ontario. En outre, les Forces armées canadiennes ont envoyé une équipe d'odontologistes légistes afin d'acquérir et de communiquer les pratiques recommandées dans une catastrophe d'envergure. Comme c'est le cas dans tout incident causant la mort, le médecin légiste (et dans certaines provinces, le coroner) doit aussi intervenir, et on en a également invités lors de l'exercice.
Il s'agissait de rendre l'exercice réaliste pour qu'il soit le plus instructif possible. Les organisateurs ont donc recruté une société spécialisée dans les interventions d'urgence qui a fourni des prothèses, des accessoires et des conseils. Des acteurs jouant le rôle de survivants ont simulé des coupures sanguinolentes, des brûlures et des os cassés faisant saillie, et offert aux premiers intervenants un défi vraisemblable en matière de traitement médical.
Comme de tels incidents provoquent quelquefois des mutilations, un acteur ayant une jambe amputée a été invité parmi les victimes. Il portait une prothèse spéciale simulant une blessure grave.
Un mannequin représentant un bébé dirigé par télécommande sans fil activant les bras mécaniques et déclenchant des cris préenregistrés a été placé à l'intérieur d'une des deux voitures accidentées. Par souci de réalisme, on a aussi ajouté des intestins d'animaux et un cerveau de bovin à certains des mannequins. Pour intensifier les risques, on a fait brûler du foin dans des tambours métalliques autour des lieux de l'accident et détonner des munitions traumatisantes simulant des explosions violentes.
Mise en situation
Pour le premier volet de l'exercice, un avion de transport régional avec à son bord 10 passagers à destination de Calgary a subi une panne mécanique à l'approche de Lethbridge. L'appareil n'a jamais atteint l'aéroport et s'est finalement écrasé en percutant un autobus bondé et deux véhicules particuliers roulant sur une route locale. L'accident a fait huit morts (représentés par des mannequins vêtus) et 15 blessés (joués par des volontaires du Groupe des services aux victimes). Un témoin a composé le 911 et des pompiers ainsi que les SMU sont intervenus.
Le centre des opérations d'urgence de la ville a été activé afin de coordonner les mesures d'urgence. Une fois secourus et traités, les blessés ont été transportés par ambulance à l'urgence de l'hôpital afin que les autorités médicales puissent mettre à l'épreuve leurs capacités d'intervention dans un incident faisant un grand nombre de victimes.
Une fois les 15 blessés évacués, le se-cond volet de l'exercice – la récupération du corps des victimes – a débuté. Une équipe d'enquêteurs de la police et de l'armée et de médecins légistes a été détachée sur les lieux pour procéder à l'expertise notamment en prenant des photos terrestres et aériennes, ainsi que des séquences vidéo.
Le corps des victimes (mannequins) a été transporté dans une morgue temporaire dans les abris gonflables que la GRC a érigés sur place pour procéder à des autopsies simulées. Les odontologistes légistes des Forces armées canadiennes se sont joints aux experts judiciaires de la police pour se familiariser avec leur rôle éventuel dans ce contexte civil et exercer leurs capacités opérationnelles dans une opération conjointe d'IVC.
La première journée, avant l'expertise, les experts judiciaires et les cadres observateurs se sont réunis dans une vaste tente où on leur a présenté un diaporama sur des catastrophes passées et un aperçu des procédures à suivre. Parmi les sujets abordés, citons l'équipement de protection individuelle approprié, le matériel et les effectifs requis, le manuel de la récupération des victimes, des conseils sur la gestion des quarts et la façon de remplir le formulaire d'autopsie d'INTERPOL. Par la suite, les participants ont été répartis en quatre équipes composées chacune de quatre experts judiciaires et d'un enquêteur chargé de la reconstitution des accidents de la route. Ils ont été ensuite dépêchés sur les lieux où ils ont dû procéder à l'expertise successive des véhicules.
Le second jour, le groupe a fouillé le site à pied pour consigner tout élément de preuve additionnel, comme des effets personnels (bagages et autres).
Amélioration de la capacité d'intervention
L'exercice a permis à divers services de police et d'urgence d'intervenir conjointement sur le site d'un écrasement d'avion simulé. Pour accroître le réalisme des lieux, on a disposé le fuselage d'un avion de 19 passagers déclassé, un autobus et deux voitures accidentés ainsi que des débris épars; de même, le déploiement d'acteurs simulant des blessures graves a permis aux intervenants de vivre le stress inhérent à ce genre de situation.
Les membres du service des incendies et des SMU ont par la suite observé que l'exercice les avait sensibilisés aux exigences d'un incident faisant de multiples victimes. Les experts judiciaires quant à eux ont dit être mieux préparés après une telle séance.
Certains des services participants ont depuis pris des mesures pour rehausser leurs capacités d'intervention en faisant l'acquisition d'un nouvel EPI et en se sensibilisant aux procédures d'intervention et de gestion des victimes. Lors d'un compte rendu ultérieur, on a relevé les lacunes de la part du centre des opérations d'urgence, de la police, des pompiers, des SMU et des hôpitaux, afin de les corriger pour mieux traiter tout incident similaire à l'avenir.
Le cap. Jack Neri est un spécialiste de l'identité judiciaire de la GRC en Alberta. Il a été affecté lors de nombreuses catastrophes d'envergure, dont l'écrasement du Boeing 737 de la First Air dans l'Arctique canadien en 2011.