Mark Wynn a passé 21 ans dans la police métropolitaine de Nashville où il a été lieutenant à la division des affaires de violence familiale et membre du GTI. Il parcourt à présent le monde à titre d'instructeur, de conférencier et d'intervenant sur la question de la violence familiale. Au cours de sa carrière, M. Wynn a contribué à renforcer la législation visant à protéger les femmes contre le harcèlement et la violence et a œuvré à mieux faire comprendre les dynamiques inhérentes à la violence fami-liale. Il répond aux questions d'Eric Stewart sur son expérience personnelle et parle de ce qu'il a appris au cours d'une longue carrière dans le domaine.
Pouvez-vous nous parler de votre propre expérience de la violence familiale?
Mon beau-père était pilote d'épandage. C'était un de ces gars durs de l'Ouest du Texas – 6 pi 2 po, 220 lb — et un abuseur. Nous l'avons découvert après son mariage avec ma mère. Il était brutal; par sa faute, ma mère a été hospitalisée plusieurs fois, a fait deux fausses couches, a subi des fractures, des commotions et en plus il se battait avec la police. Malgré tout ça, il n'a jamais été arrêté pour violence familiale parce qu'à l'époque, cela ne figurait pas dans le code criminel; et il n'y avait pas de refuge, alors on était vraiment livrés à nous-mêmes. Lorsque nous avions 12 et 7 ans, mon frère et moi avons tenté de le tuer en mettant de l'insecticide dans son verre. Dieu merci il n'est pas mort! Il a tout bu, mais c'était un alcoolique et ça ne lui a rien fait.
Enfant, je me disais que je ferais quelque chose contre la violence familiale plus tard et lorsque j'ai eu l'âge, je suis entré dans la police et j'y suis encore. Beaucoup de gens qui ont survécu à l'abus travaillent dans la police. J'en rencontre tout le temps; ils viennent vers moi après la formation pour me dire qu'ils savent ce que j'ai vécu; rares sont ceux qui n'ont pas été touchés par ce type de violence.
Y a-t-il des idées fausses sur la violence familiale?
Je crois qu'il y a encore une méconnaissance du comportement de la victime. Cette réticence qui ressemble à de la résignation, la relation torturée que vivent les victimes… Les abuseurs ne viennent pas vers vous, vous proposent de sortir avec eux, puis vous battent; c'est bien plus complexe que ça. Lorsqu'un policier regarde une victime, il sait qu'elle est en danger, mais dans ce type de relation, partir n'est pas une décision instantanée; c'est un processus. Et le policier doit en faire partie.
Y a-t-il des similitudes entre les auteurs de violence familiale?
Oui, et cela n'a rien à voir avec le stress, l'ethnie, l'argent, la drogue ou l'alcool. C'est une question de choix. Et ce choix est le fait d'un comportement acquis dans environ 80 p. 100 des cas. Des études montrent que notre cerveau se développe différemment selon qu'on a été ou pas exposé à la violence durant l'enfance; et pas à cinq ans, mais à cinq mois. Les sujets exposés à la violence lorsqu'ils étaient bébés ont une plus grande propension à commettre des actes de violence à l'adolescence et à l'âge adulte. C'est pourquoi je passe beaucoup de temps à faire ces liens lorsque je m'adresse aux policiers, à leur montrer comment la violence engendre la violence et pourquoi il est si important d'en préserver les enfants.
Pourquoi la violence familiale est-elle si difficile à gérer pour la police?
Je parle à des policiers du monde entier et c'est toujours la même chose : on sait qu'on a un problème, on travaille avec des groupes de défense, on tente d'améliorer les choses; ça a toujours été difficile avec ce type de crime. Certaines victimes vivent avec leurs abuseurs et sont très réticentes à les dénoncer en raison de diverses pressions internes et externes; ce sont des situations extrêmement délicates. Souvent, à la violence domestique s'ajoutent des agressions sexuelles et d'autres crimes. Je pense que les choses iront en s'améliorant à mesure que les attitudes sociales changeront et inciteront les victimes à se manifester et que la police se modernisera et modifiera elle aussi ses attitudes.
Comment la répression de la violence familiale a-t-elle changé depuis le début de votre carrière?
Je suis entré dans la police en 1977. À l'époque, on traitait la violence familiale sous l'angle de la médiation; on ne procédait pas à des arrestations. C'était la norme partout aux États-Unis et ailleurs en Occident. On ne savait pas vraiment à quoi on avait affaire.
La violence familiale est un crime de pouvoir et de contrôle et je crois qu'on commence enfin à voir les choses différemment. Les États-Unis ont adopté la Violence Against Women Act (loi sur la violence faite aux femmes) qui permet de financer la recherche et la formation des policiers. Depuis 14 ans, l'Association internationale des chefs de police sillonne les États pour enseigner aux cadres policiers l'histoire de la violence familiale et les aider à élaborer des politiques sur la question et sur la traite de personnes et les agressions sexuelles. D'autres pays ont adopté des lois similaires; les attitudes changent. C'est une transformation.
Il y a 20 ans, nous n'aurions même pas eu cette conversation. Je forme des policiers depuis 1982 et j'ai entendu toutes les excuses et raisons possibles; je crois fermement qu'en exerçant une pression légère, mais constante, on vient à bout de tout.
Pouvez-vous nous parler de la relation entre la violence familiale et le meurtre de policiers?
Pendant toutes les années où nous avons omis de traiter la violence familiale pour ce qu'elle est, des abuseurs tuaient des policiers. On ne faisait pas le lien à l'époque, mais on sait maintenant que lorsqu'un abuseur est privé de son pouvoir de contrôle, il riposte en recourant à la force meurtrière. Le premier policier tué dans l'exercice de ses fonctions à Nashville, où j'ai débuté ma carrière, intervenait sur un cas de violence familiale. Face à une dynamique de violence familiale, on a intérêt à rester vigilant parce qu'on peut être autant à risque que la victime. Ces tueries ne sont pas des coups de folie — ce sont des actes calculés. Des abuseurs tuent des policiers parce qu'ils croient qu'on leur enlève quelque chose auquel ils ont droit et ils n'hésitent pas à recourir à la force meurtrière pour le ravoir.
Avez-vous des conseils à donner aux policiers qui interviennent sur des cas semblables?
De nombreux abuseurs usent des mêmes tactiques avec les policiers que celles qu'ils utilisent avec leurs victimes. C'est ce qu'on appelle le cercle du pouvoir et du contrôle. L'abuseur isole sa victime et l'empêche d'obtenir de l'aide; il éloigne le policier de la victime. Il intimide et contraint la victime et il fait de même avec le policier. Il utilise les enfants contre la victime et le policier. Il invoque la prérogative masculine face à la victime et au policier : « C'est ma femme et je fais ce que je veux ». Il tuera la victime et le policier.
Lorsque vous enquêtez sur un cas de violence familiale, observez comment le suspect se comporte avec vous — parce qu'il en fait autant avec ses victimes. S'il a une attitude défensive, c'est un indice. Et son comportement devrait être documenté dans le rapport de police pour étayer la poursuite. Souvent, le policier se focalise sur ce que Monsieur ou Madame dit et omet de noter comment l'abuseur s'adresse à lui, alors que c'est très important.
Je veux que les policiers soient en sécurité. Chaque fois qu'ils cognent à la porte d'une famille, ils risquent leur vie pour quelqu'un qu'ils ne connaissent même pas. J'aimerais qu'ils aient le maximum d'information avant même d'intervenir. Et je souhaite qu'ils se mettent une minute dans les souliers de la victime pour comprendre dans quel état d'esprit elle se trouve. L'empathie est un des meilleurs outils.
L'entrevue a été modifiée et condensée par souci d'espace et de clarté.