Dans le contexte social et politique d'aujourd'hui, les policiers sont de plus en plus appelés à répondre de leurs décisions de recourir à la force et de leurs gestes pour désamorcer des situations. Ils composent aussi avec des menaces nouvelles, pour eux et pour la population, qu'on pense au terrorisme ou à la violence dans les écoles, par exemple. Leurs employeurs doivent donc leur offrir une formation très efficace.
Des données probantes
Lorsqu'il existe des preuves scientifiques de l'efficacité d'une formation à atteindre les buts visés, on parle d'une formation fondée sur des données probantes. Or, les services de police et le gouvernement du Canada ont voulu offrir une formation conforme aux buts suivants : d'abord, améliorer la prise de décisions du policier concernant le recours à la force et les stratégies de désescalade; ensuite, prévenir les blessures de stress opérationnel (BSO) en favorisant chez le policier la résilience, sur les plans mental et physique.
Nos chercheurs ont travaillé en ce sens avec la collaboration de la Police régionale de Peel, du groupe tactique d'intervention de la Police de Toronto, de la Police de l'Illinois et de la Police nationale de la Finlande. Au terme des travaux de recherche, nous avons élaboré une formation scientifiquement éprouvée : l'International Performance Resilience and Efficiency Program (iPREP), un programme international d'amélioration du rendement, de la résilience et de l'efficacité.
Comprendre la résilience
Tout le monde parle de résilience, cette capa-cité de composer avec une situation stressante et de s'en remettre, mais nous avons constaté l'absence de recherches pour la comprendre d'un point de vue scientifique dans le milieu policier. Comme premiers intervenants, les policiers sont exposés au stress à répétition, ils débarquent dans des situations imprévisibles qui ne leur laissent pas le loisir du recul et ils doivent respecter une panoplie de politiques provinciales et organisationnelles. La formation destinée aux policiers doit être élaborée de concert avec la police afin de tenir compte de leur contexte unique.
Pour définir la résilience policière, nous avons consacré des milliers d'heures à la cueillette de données psychologiques, biologiques et opérationnelles sur des policiers nord-américains et européens. Nous avons étudié des policiers, des recrues jusqu'aux équipes fédérales d'intervention spécialisée, et les avons observés tant en formation que dans l'exécution de leur travail. Nous avons constaté des profils de risque et de résilience chez les policiers, sur les plans psychologique et biologique. Ces profils sont devenus évidents lorsqu'on a observé les policiers en situations de stress, au point où on a su qu'on pouvait les mesurer. Chaque personne a son profil personnel, ce qui veut dire que la formation devant améliorer la résilience doit répondre aux besoins particuliers de chaque policier.
Effets du stress
Lorsqu'une personne fait face à une menace, elle subit une décharge d'adrénaline et de cortisol, des hormones qui favorisent une réaction rapide du corps. Lorsque la réaction biologique est modérée, elle aiguise la vision, l'ouïe, la motricité et le temps de réaction. Cependant, lorsque la réaction est forte, elle peut brouiller la pensée, la vision et l'ouïe, nuire à la motricité et ralentir le temps de réaction.
Le stress a frappé tous nos sujets, pas juste les recrues. Les réactions fortes aux menaces, lorsqu'elles se prolongent ou se répètent souvent, augmentent les risques pour la santé physique, par exemple une maladie cardio-vasculaire, ou mentale, comme un trouble anxieux. La bonne nouvelle est que l'effet néfaste du stress sur le rendement et la santé n'est pas inévitable. Une formation peut redresser un profil de stress personnel et améliorer le rendement.
Notre recherche (en anglais seulement) a prouvé que, quel que soit le niveau d'expérience ou d'expertise, les policiers font peu le lien entre leurs réactions psychologiques et physiques et leur rendement. Un élément essentiel de la formation est d'illustrer ce lien d'une manière personnelle et reconnaissable, et d'offrir des stratégies concrètes pour améliorer le rendement et la résilience.
La formation améliore le rendement
Des études des tendances dans la formation policière en Amérique du Nord révèlent qu'en grande partie, la formation traite des outils et des tactiques, sans aborder les facteurs psychologiques et physiques propres au policier. Pourtant, l'efficacité de l'outil est modulée par la personne qui s'en sert. La recherche soutient un changement de paradigme, afin d'intégrer à la formation policière l'observation directe des profils de risque des policiers et l'apprentissage de profils de résilience.
Le programme iPREP a été conçu à partir de données objectives, psychologiques et biologiques, suivant des méthodes scientifiquement éprouvées pour favoriser l'apprentissage et l'acquisition de compétences. Une formation par scénarios — par exemple simuler avec des acteurs une fusillade dans une école désaffectée où l'on fait vraiment intervenir les apprenants — est essentielle pour faire émerger les réactions comportementales et les compétences nécessaires aux policiers pour améliorer leur rendement et accroître leur résilience.
Ce mode d'enseignement conscientise les policiers à leur corps, au lien entre la réaction que l'environnement déclenche dans leur organisme et aux changements auxquels cette réaction donne lieu dans leur corps, aux plans psychologique et physique. Les deux vont de pair et doivent être traités dans la formation par scénarios.
Le comportement ou la compétence souhaités en situation de stress doit devenir un réflexe chez le policier, un geste qu'il reproduira sans réfléchir. La formation iPREP favorise les réactions automatiques : une formation progressive et réaliste qui conscientise l'apprenant à son corps et l'outille pour régulariser ses réactions au stress.
Grâce à cette méthode, l'instructeur peut répondre aux besoins particuliers d'un policier tout en enseignant à un groupe. La recherche montre que la teneur du programme est importante, mais aussi la manière de le présenter. Le programme prévoit la formation des formateurs, afin de transmettre aux instructeurs en recours à la force des méthodes d'enseignement concrètes qui favorisent l'apprentissage chez la plupart des apprenants.
Fondement scientifique
Plusieurs études scientifiques ont mesuré l'efficacité de la méthode iPREP et montré que cette formation améliore de beaucoup la connaissance de la situation, le contrôle des réactions biologiques à la menace et l'exactitude des décisions relatives au recours à la force.
La formation nourrit la résilience physique et psychologique au stress. Elle améliore les réactions cardio-vasculaires et hormonales. Elle réduit la détresse, augmente la confiance et sensibilise aux réactions psychologiques qui nécessitent l'aide d'un professionnel en santé mentale. Autant d'acquis qui favorisent la santé à long terme et la prévention des BSO.
Le programme a été conçu pour s'intégrer à la formation existante (par exemple la recertification annuelle en recours à la force). Il exploite les compétences des instructeurs déjà employés par les services de police qui apprennent à livrer leur enseignement suivant la méthode iPREP. Notre étude a montré que les policiers adhèrent à la méthode d'enseignement (formation par scénarios) et aux compétences acquises parce qu'elles correspondent à leurs besoins et à leurs expériences.
Notre étude n'a trouvé aucune formule éprouvée qui puisse remplacer la formation par scénarios. Une étude comparant la formation assistée par la technologie et la formation par scénarios, simulant des situations de service actif, a prouvé que la formation assistée par la technologie ne préparait pas les policiers aux rencontres réelles aussi bien que la formation par scénarios.
Conclusion
Les recherches montrent que le programme iPREP atteint les buts des services de police et du gouvernement fédéral. Cette méthode améliore la prise de décisions chez le policier concernant l'application du recours à la force et de stratégies de désescalade et elle améliore sa résilience. Elle permet aussi de déceler tôt les risques de BSO, ce qui ouvre la voie à la prévention et à l'intervention rapide.
La formation rend les concepts abstraits de la résilience et du rendement optimal concrets et applicables pour les policiers. Elle a été adaptée aux réalités policières au moyen de la recherche, de la collaboration et de tests. Il s'agit d'un programme accrédité pratique et accessible qui améliore la résilience et le rendement des policiers.
Références
Santé mentale et sécurités des collectivités, Rapport du Comité permanent de la sécurité publique et nationale, Chambre des Communes, 42e législature, 1re session (octobre 2016).
Andersen, J.P. et H. Gustafsberg, « A training method to improve police use of force decision making: A randomized controlled trial », Journal of Police Emergency Response, 2016.
Morrison, G.B. et T.K. Garner, « Latitude in deadly force training: Progress or problem? », Police Practice and Research, 12(4), 2011, p. 341-361.
Andersen, J.P., M. Pitel, A. Weerasinghe et K. Papazoglou, « Highly realistic scenario based training simulates the psychophysiology of real world use of force encounters: Implications for improved police Officer Performance », Journal of Law Enforcement, 2016.
Andersen, J.P., M. Dorai, K. Papazoglou et B.B. Arnetz, « Diurnal and reactivity measures of cortisol in response to intensive resilience and tactical training among special forces police », Journal of Occupational and Emergency Medicine, 2016.
Andersen, J.P, K. Papazoglou, M. Koskelainen, M. Nyman, H. Gustafsberg et B.B. Arnetz, « Applying resilience promotion training among Special Forces police officers », Journal of Police Emergency Response, 2015.
Andersen, J.P., H. Gustafsberg, P.I. Collins et S. Poplawski, « Enhancing police situational awareness and use of force decision making: The International Performance Resilience and Efficiency Program », à paraître.