Le logo du Projet Devote est un casse-tête représentant la forme du Manitoba. Une pièce manque — à l'image des cas de disparition non résolus abordés par l'équipe mixte de la GRC et du Service de police de Winnipeg (SPW). C'est un rappel que ces dossiers exigent davantage — de temps, d'investigation et d'information de la part du public.
Evelyn Stewart était vulnérable. On était en 1998 et elle travaillait dans le commerce du sexe à Winnipeg pour survivre tandis qu'elle était aux prises avec une toxicomanie. Dans la froide matinée du 20 mars, on a retrouvé son corps dans un stationnement. Sa mort — c.-à-d. son meurtre — était violente, selon les enquêteurs. Assez violente pour laisser soupçonner que son meurtrier était fort probablement une connaissance.
On n'a jamais retrouvé le meurtrier d'Evelyn Stewart. Son cas s'ajoute aux dizaines d'autres cas similaires — des habitants du Manitoba victimes d'exploitation portés disparus ou dont on a retrouvé le corps. Cet épineux problème est abordé de front par les forces policières de la province grâce au Projet Devote, chargé d'élucider 28 cas non résolus où l'on soupçonne un acte criminel.
« Les victimes sont des membres de la collectivité, explique l'agent Jason Mich-alyshen, du SPW, porte-parole du Projet. Nous sommes dans l'obligation de tirer les cas au clair, afin de permettre à la famille de tourner la page, en toute légitimité.
Certaines des affaires remontent à plusieurs décennies et les pistes sont rares. Lorsque les enquêteurs disposent de si peu d'indices, il faut s'en remettre à une campagne de sensibilisation.
On recourt à des panneaux-réclames, des annonces dans la rue et sur les autobus, des conférences de presse, des vidéos dans YouTube — tout ce qui peut rappeler aux citoyens le visage des femmes disparues. Des slogans percutants comme « Connaissez- vous mon meurtrier? » apparaissent sous des rangées de photos et de dates de disparition.
Et, tout au bas, le numéro d'une ligne de signalement.
« L'indice le plus anodin peut mener à l'information importante dont nous avons besoin — il peut s'agir d'un détail aussi insignifiant que ce que la victime portait lorsqu'on l'a vue pour la dernière fois ou aussi important que la personne avec qui elle a été vue pour la dernière fois, explique
le serg. Rob Lasson, de la GRC, chef d'équipe du Projet Devote. « Il y a des gens qui en savent beaucoup, mais qui hésitent à le signaler. Nous devons trouver des moyens d'obtenir l'information. »
En fin de compte, il s'agit de capter l'attention des gens et de raviver leurs souvenirs. Même des gens que nous avons déjà interrogés pourraient disposer d'autres renseignements, il suffit quelquefois d'un simple coup de pouce dans la bonne direction.
« Quiconque a des liens avec le sujet de l'enquête — que ce soit parce qu'il connaissait la victime, ou a été témoin de quelque chose — si on ravive son souvenir, on peut espérer qu'il composera le numéro, explique l'agent Michalyshen. La résolution du cas pourrait ne tenir qu'à un coup de fil. »
Chaque salve publicitaire a engendré une sensibilisation accrue — et une série de signalements — de la part du public. Dans un cas, un panneau-réclame sur le meurtre d'Evelyn Stewart s'est retrouvé directement en face de l'enseigne d'une autre société publicitaire au sujet d'une boîte de nuit. L'indignation subséquente des citoyens a permis d'attirer davantage l'attention sur l'enquête : conséquence inattendue, mais heureuse.
Certaines campagnes publicitaires sont adaptées à la victime — au point de choisir stratégiquement le quartier où annoncer l'invitation de signalement. En étudiant chaque cas, les enquêteurs déterminent les endroits fréquentés par des connaissances de la victime, sa famille ou des témoins qui auraient pu connaître la victime.
« Nous avons sauté dans une fourgonnette », explique Sue Murray, conseillère en stratégies de communication à la GRC affectée au Projet Devote. « Nous avons sillonné la ville à la recherche des meilleurs endroits pour ériger des affiches grand format et des panneaux-réclames, en tenant compte de la visibilité et des endroits stratégiques.
Cela dit, rien ne remplace l'interaction directe avec le public. Le serg. Lasson se rend souvent dans des collectivités isolées ou visite la famille d'une victime pour dresser un bilan de l'enquête. Forger un lien personnel avec les gens concernés est stimulant pour l'enquêteur.
« Les citoyens sont l'une de nos ressources les plus importantes pour nous, précise l'agent Michalyshen. Sans eux, une tâche déjà difficile le serait encore plus. Nous apprécions la patience, la coopération et, évidemment, le soutien du public. »