Quelle est l'efficacité des activités de prévention et de sensibilisation que la police mène dans les écoles (p. ex. pour lutter contre l'intimidation, la violence, la toxicomanie, la conduite avec facultés affaiblies)? Quatre policiers de la GRC nous parlent des avantages et inconvénients de la présence policière en milieu scolaire ainsi que de son incidence sur la conduite des jeunes.
Les spécialistes
Gend. Meighan de Pass, agente de liaison avec les écoles, Détachement de Sidney North Saanich (Colombie-Britannique)
G.s. Robert Cleveland, gendarme communautaire autochtone, Relations sociopolicières, Thompson (Manitoba)
Gend. Brad Kelly, enquêteur des services généraux, Détachement de Carmacks (Yukon)
Gend. Stephen Duggan, services généraux, District de Queens (Île-du-Prince-Édouard)
Gend. Meighan de Pass
Le Détachement de Sidney North Saanich illustre bien le succès que peut obtenir un service de police qui investit dans la jeunesse. Devant l'inquiétante montée des violences liées à la drogue et à l'alcool qui a culminé avec un meurtre en 1994, le détachement a élaboré un programme graduel de prévention du crime dans les écoles primaires et secondaires sur son territoire.
Cette approche vise l'établissement d'une présence policière positive dans les écoles, que ce soit par la communication de consignes de sécurité, la sensibilisation aux dangers de la drogue, des ateliers de sécurité à vélo, une introduction au code de la route ou la création de liens par divers moyens, notamment des activités sportives dirigées par des policiers.
Nous collaborons étroitement avec la direction des écoles, ce qui nous permet d'agir rapidement en cas d'incident dans l'enceinte scolaire (p. ex. intimidation, exploitation). Le changement de comportement observé en ce qui touche les interventions de témoins et les signalements montre clairement aux agents de prévention du crime que leur action éducative porte ses fruits.
Ces mesures de prévention axées sur les relations interpersonnelles et l'éducation ont pour effet pratique de stimuler les échanges positifs entre jeunes et gendarmes des services généraux. Plus la relation entre la communauté et la police est solide, plus l'information circule avec fluidité, ce qui profite directement aux enquêtes.
Élaborer une stratégie efficace de prévention du crime suppose la connaissance du public cible, et disposer d'informations à jour est essentiel à cette connaissance. Une stratégie efficace peut se traduire par une réduction des demandes de service, une baisse du degré de violence des incidents impliquant des jeunes et une augmentation des occasions de créer des liens positifs.
Bien des jeunes qui conversent avec des policiers en dehors de tout cadre formel veulent en savoir plus sur l'agent de liaison dans leur école, et lorsqu'ils ont des ennuis, ils songent souvent au fait d'avoir déçu ce dernier, ce qui montre la profondeur du lien qui peut se développer entre eux.
De tels liens sont d'une importance cruciale, car nombreux sont les jeunes qui n'ont personne pour leur enseigner les bons comportements à adopter. Comment pourraient-ils devenir des élèves motivés et respectueux des lois s'ils ne savent pas à quoi ressemble un tel élève?
Beaucoup de jeunes n'ont pas accès à un lieu sûr — ou sont incapables d'en réclamer un. Se faire leur porte-voix ou agir auprès d'eux comme personne de confiance peut être décisif dans leur choix d'éviter les comportements risqués et les occasions de devenir la cible d'un acte criminel.
En semblable matière, certains des principaux indicateurs de succès sont de nature anecdotique : notre précédent agent de liaison dans les écoles a récemment reçu un texto d'une ancienne élève qui voulait lui faire savoir qu'elle avait grâce à lui trouvé le courage de témoigner en cour.
Notre présence soutenue en milieu scolaire sert à combattre l'image souvent négative des policiers que la culture pop véhicule sur les médias sociaux. Nouer des liens avec les jeunes procure un bénéfice immédiat à la collectivité en plus de préparer la récolte de bénéfices ultérieurs, une fois ces jeunes devenus adultes.
G.s. Robert Cleveland
En ma qualité de gendarme communautaire autochtone travaillant et vivant au sein de ma propre communauté, je suis dans une position assez singulière. Ces six dernières années et demie, j'ai été agent des relations sociopolicières au Détachement de Thompson.
Le fait d'être Métis m'a ouvert bien des portes. Ayant été agent de liaison dans plusieurs écoles locales, j'ai enseigné les programmes DARE et Bouclier autochtone à des classes de niveaux variés en milieu rural et urbain. J'ai aussi été invité à parler aux enfants des drogues, de la méfiance envers les inconnus, du compagnonnage, du recrutement et du sextage. Mes visites dans les écoles sont quasi quotidiennes.
Que je rencontre des enseignants ou participe aux cérémonies du jour du Souvenir, à la Journée nationale des Autochtones, à une fête de Noël, au Jour de la citoyenneté ou à une expo-sciences, j'échange fréquemment avec les élèves. J'assume différentes fonctions en milieu scolaire et suis membre de plusieurs comités, dont celui pour l'éducation des adolescents en matière de santé.
Enfin, je demeure à la disposition des écoles qui demandent de l'aide pour régler tel ou tel problème (p. ex. intimidation, utilisation d'Internet, comportements déviants).
Je crois que ma présence en milieu scolaire favorise le développement de bonnes relations avec les élèves et le corps enseignant. On montre aux jeunes que les policiers sont des êtres humains qui se soucient d'eux. Être attentif à l'instant présent et s'engager auprès des élèves, voilà qui contribue à la construction de saines relations.
Les élèves n'ont pas peur d'approcher les policiers, et cela aide à lever les barrières, à l'école comme dans la vie. Coordonnateur du plan SAFE à Thompson, j'ai mené des exercices de confinement dans les établissements scolaires. Ces exercices transmettent un message fort : les policiers sont là pour garantir la sécurité de chacun. Les élèves sont rassurés de savoir que la police a pour mission de les protéger.
J'ai constaté que beaucoup d'élèves étaient curieux d'en savoir plus sur le métier de policier, et comme je suis présent sur place, ils peuvent me poser des questions, me faire part de leur vision, de leurs idées, et envisager les choses d'un point de vue différent.
Parler avec les élèves autochtones est un excellent moyen de dissiper les mythes et contrevérités qui courent au sujet des policiers, d'où l'intérêt de notre présence dans les écoles. Certains ont de nous une mauvaise opinion, mais beaucoup d'autres ont avec nous des échanges constructifs.
La GRC compte un grand nombre de membres qui incarnent d'excellents modèles de conduite et qui se soucient des écoles et de la communauté dans laquelle ils vivent. C'est ce dont témoignent des initiatives comme la Semaine nationale de l'engagement jeunesse, le programme national de leadership jeunesse et le Programme de formation des précadets autochtones, pour n'en citer que quelques-uns. Ces programmes consolident nos relations avec le milieu scolaire.
La présence de policiers dans les écoles aide à nouer de saines relations avec les élèves, et cela est un grand bienfait.
Gend. Brad Kelly
Avant d'occuper mon poste actuel, j'ai travaillé à Watson Lake (Yukon) durant trois ans. Dans ces fonctions de police communautaire, je suis très souvent entré en contact avec des jeunes.
À quelques occasions, j'ai accompagné une jeune Autochtone voulant suivre des ateliers de perfectionnement en leadership à l'École de la GRC, à Regina (Sask.). Expressément destinés aux jeunes de diverses Premières Nations du pays, ces ateliers visaient à donner à ceux-ci les moyens de mettre sur pied et de réaliser des plans d'action pour lutter contre la délinquance dans leur communauté. Ils avaient aussi pour objectif de développer les qualités de chef des participants et de favoriser l'établissement de relations positives avec la police.
La jeune que je guidais voulait s'attaquer à l'intimidation, problème omniprésent à Watson Lake. Elle et moi avons alors mis au point un plan de réalisation du programme DIRE (Demander de l'aide, Ignorer, Reculer, En parler), qui vise à prévenir l'intimidation et les brimades entre pairs.
À l'école primaire locale, nous avons lu à des élèves de maternelle, de première, de deuxième et de troisième année des histoires d'intimidation culturellement pertinentes et adaptées à leur âge. Nous invitions ensuite les élèves à s'exprimer, en leur demandant par exemple pourquoi le personnage central se sentait rejeté, ou ce que les autres pouvaient faire pour l'intégrer.
La présence à l'école permet à des policiers comme moi de miser sur les forces des élèves, car nous ne sommes pas là pour épingler les fauteurs de trouble, mais plutôt pour favoriser l'autonomisation des jeunes.
Il est ainsi plus facile de créer de bons liens avec les jeunes et de devenir à leurs yeux des modèles à imiter. En adoptant une attitude avenante, les policiers peuvent montrer que leur rôle est d'aider les élèves, et non pas uniquement de sanctionner leurs méfaits. La présence policière dans les écoles donne corps à l'idée de police communautaire, dont l'un des objectifs est d'aider les familles et les membres de la communauté à jouir de la vie.
Je n'ai pas seulement lié contact avec les élèves de l'école, mais aussi avec son personnel. J'ai collaboré avec des enseignants en vue d'un but commun : réduire les brimades entre pairs. À bien des égards, la GRC et le système éducatif sont sur la même longueur d'onde en ce qui concerne la saine promotion des talents personnels et des possibilités de développement.
Toute initiative de prévention du crime comporte ses limites : il n'existe pas de formule d'application universelle. Durant la mise en œuvre du programme DIRE, j'étais bien conscient que les enfants provenaient de milieux socioculturels divers et que certains d'entre eux pouvaient avoir de la difficulté à « reculer », première étape de la méthode DIRE. J'étais aussi conscient de la nécessité de leur répéter plusieurs fois les mêmes choses avant qu'ils puissent les assimiler.
Enfin, à force d'échanger avec des jeunes à l'école, j'ai pu en apprendre sur eux. Ils sont à l'écoute de tout ce qui se passe, et parler avec eux permet au policier de rester au courant de l'état actuel et de la nature des questions et problèmes qui se posent aux jeunes.
Gend. Stephen Duggan
L'important, quand on aborde un sujet d'un point de vue policier, quel qu'il soit, c'est d'en faire voir la pertinence pour les jeunes à qui on s'adresse et d'éviter de leur apparaître comme un autre adulte qui leur dit quoi faire. J'ai de la chance, car ma campagne « You control the choice you make » touche à quelque chose qui intéresse tous les ados : la conduite automobile.
Les exposés que je fais découlent directement d'une lettre que j'ai reçue d'une jeune personne plusieurs mois après que je l'eus arrêtée pour conduite avec facultés affaiblies. Elle me faisait savoir tout ce que son erreur de jugement lui avait coûté : perte d'emploi, interruption d'études, humiliation et frais associés à l'obtention d'un nouveau permis de conduire – et malgré tout cela, elle m'a remercié, car son arrestation avait changé sa vie.
Le policier que je suis a su qu'il y avait là riche matière à partager.
Assez tôt dans ma carrière, j'ai compris qu'il était pire d'arriver mal préparé que de ne pas se présenter du tout. L'école qui sacrifie de précieuses heures de cours pour que ses élèves assistent à une conférence s'attend à ce que le message fasse sur eux une impression durable.
Mon intro est toujours la même : « Je ne suis pas venu vous dire ce que vous pouvez ou ne pouvez pas faire, mais vous faire comprendre les conséquences de vos choix. » Durant les 40 minutes qui suivent, je leur fais entrevoir les différents types de rencontre policière qu'ils peuvent avoir selon les choix qu'ils font en matière de conduite automobile. J'y mets un élément interactif : j'invite des élèves à donner un échantillon d'haleine et à subir un pseudo-test de sobriété normalisé sur le terrain, après quoi je simule leur mise en état d'arrestation.
Je clos mon exposé en parlant aux élèves de la lettre que m'a écrite la jeune conductrice. Alors je m'arrête, puis fais entrer celle-ci, qui durant 15 minutes leur relate son expérience de conduite en état d'ébriété. Je dis aux élèves que cette personne a fait un mauvais choix, mais qu'au lieu de laisser ce mauvais choix définir le reste de son existence, elle en avait fait un autre, meilleur, qui l'a justement amenée à venir leur raconter son histoire.
Ce modèle d'exposé me permet d'ajouter ou de retrancher tel ou tel sujet, au besoin. Compte tenu de la légalisation prochaine de la marihuana, j'ai commencé à y inclure davantage d'éléments d'information sur les facultés affaiblies par la drogue.
J'ai pu constater que mon exposé faisait effet. À l'Île-du-Prince-Édouard, où j'ai travaillé dans deux districts, j'allais chaque année parler aux élèves des écoles secondaires, et tous les mois je donnais un cours de sécurité au volant. Les jeunes me suivaient jusqu'au stationnement simplement pour me dire qu'ils avaient fait le bon choix.
Pour moi, c'est clair : sans le soutien des écoles prêtes à réduire ponctuellement le temps d'enseignement, les élèves n'auraient pas l'occasion de rencontrer un policier, d'échanger avec lui et de recevoir de l'information. Il est beaucoup plus facile d'amener les élèves à répondre des choix qu'ils font dans la vie lorsque le message leur a été livré à tous en même temps.