Les spécialistes
- Barbara J. Schmalz, Ph.D., psychologue agréée, psychologue divisionnaire de la GRC, Calgary (Alberta)
- Juha Järvelin, Ph.D., gestionnaire de programme, Programme de colloques de la police finlandaise sur les suites d'un incident critique
- S.é.-m. Roberta McKale, sous-officière conseillère du District de l'est de l'Alberta, GRC
Les services de police planifient minutieusement leurs interventions et entraînent leurs membres pour être prêts à faire face à un incident grave, que ce soit une fusillade causée par un tireur fou, un attentat terroriste ou une catastrophe naturelle. Mais dans quelle mesure les policiers arrivent-ils à se remettre de ces incidents épuisants tant physiquement que mentalement? Nous avons demandé à notre groupe d'experts quelle était la meilleure façon pour une organi-sation, un détachement ou une personne de se remettre au lendemain d'une crise.
Barbara J. Schmalz, Ph.D.
Une panoplie d'incidents entraînent des réactions chez les policiers, individuellement et collectivement. Les émotions fortes sont courantes chez les policiers, mais les crises importantes peuvent avoir des effets intenses et insoupçonnés.
Bien qu'ils soient endurcis sur les plans fonctionnel et mental, les policiers sont fondamentalement des humains qui vivent et ont vécu des choses dans leur vie personnelle et qui peuvent être empathiques sous leur armure.
La récupération après une crise policière grave ou de grande ampleur commence par une prise de conscience : soyez à l'écoute de vos émotions, écoutez quand on vous dit à quoi vous attendre et sachez que votre réaction est normale, même pour un policier formé qui est fort dans l'adversité.
Concentrez-vous d'abord sur vos besoins physiques fondamentaux : mangez, buvez, faites de l'exercice et dormez, lorsque c'est possible. Ne vous attendez pas à fonctionner à plein régime. Revoyez vos attentes à la baisse.
L'intensité d'une situation de crise et la forte émotion qui s'en suit entraîneront plus tard un épuisement physique. Une décharge d'adrénaline provoque des vagues d'émotions, que ce soit la peur, la colère ou une profonde tristesse. Il est important que les policiers subissent moins de pression, que cette pression provienne de leur employeur ou d'eux-mêmes.
Le recours à un réseau de soutien (collègues, proches ou pairs) peut être une bouée de sauvetage pour de nombreux membres. Comme les policiers, leurs proches devront savoir à quoi s'attendre dans les jours, les semaines, les mois, voire les années suivant la crise.
Il est ressourçant de passer du temps avec des gens qui n'ont pas vécu directement la crise, mais vos proches devront comprendre ce que vous pourriez vivre. Il est souvent important que les proches reçoivent de l'aide pour réduire l'incidence des réactions secondaires chez les policiers.
Le soutien de l'organisation est important pour la santé au travail, le moral, le rendement et la satisfaction du policier. Pouvant prendre la forme de séances de verbalisation suivant un incident critique ou d'autres ressources, ce soutien est souvent l'élément positif qui ressort de la situation et dont les policiers se souviennent longtemps après l'incident. Il peut être fondamental pour redonner aux policiers la force morale et la motivation de reprendre leur carrière.
Toute crise aura des effets à long terme à plusieurs égards. Elle aura des répercussions sur les familles (blessures ou décès dans l'exercice des fonctions), les collectivités (inondation, incendie), puis les policiers retourneront sur le terrain. Souvent, ils auront du temps pour récupérer à court terme, mais la terre continuera de tourner et d'autres incidents majeurs risqueront de se produire.
Les policiers qui récupéreront le mieux après une situation de crise sont ceux qui sont en bonne santé mentale et en bonne forme physique et qui mènent une vie équilibrée et satisfaisante. Pour les autres, les répercussions seront plus importantes et la récupération prendra plus de temps.
Les situations de crise portent souvent un message clair : cultivez tous les aspects de votre vie, y compris les relations que vous entretenez avec les gens qui vous entourent, recherchez l'équilibre et vous serez mieux préparé à faire face au prochain incident majeur qui se produira.
Juha Järvelin, Ph.D.
La police finlandaise a tiré d'importantes leçons de la fusillade qui a fait onze victimes à Kauhajoki le 23 septembre 2008.
Qu'avons-nous appris?
D'abord, nous avons appris qu'il faut tenir des séances de retour au calme et de verbalisation après un incident majeur. Ces séances ont suffi à la plupart des policiers pour les aider à se remettre, mais d'autres ont eu besoin de soutien psychosocial.
À la suite d'incidents graves, nous de-vons nous assurer que tout le monde va bien. On ne doit pas laisser un policier retourner chez lui si personne ne l'y attend car il y a de fortes chances qu'il soit, plus tard, aux prises avec de graves problèmes ou un grand stress. De plus, on pourrait ne pas remarquer les signes du trouble de stress post-traumatique.
Au sein de la police finlandaise, les séances de retour au calme et de verbalisation sont obligatoires pour les policiers. Ainsi, tous les policiers y assistent sans que cela soit perçu comme un signe de faiblesse.
Après la fusillade à Kauhajoki, le soutien par les pairs et les discussions individuelles entre pairs ont été les formes de soutien les plus efficaces pour nos policiers. Nous avons donc amorcé l'élaboration d'un modèle de gestion du stress à la suite d'un incident critique et d'un programme de soutien par les pairs.
En Finlande, des pairs participent aux séances de retour au calme et de verbalisation ainsi qu'aux discussions individuelles. Lorsque cela ne suffit pas, nous avons recours à des professionnels de la santé mentale formés pour répondre aux besoins des policiers. Ces spécialistes comprennent l'essentiel du travail policier et la façon de penser et d'agir d'un agent chargé de l'application de la loi.
Nous avons lancé le Programme de colloques sur les suites d'un incident critique en 2012. Auparavant, nous n'avions rien à offrir au-delà des séances de verbalisation. Le Programme est inspiré des modèles de soutien aux policiers du FBI et de la Caroline du Sud. Tous les policiers qui ont fait partie du groupe d'action à Kauhajoki ont pris part au programme, qui a donné de très bons résultats.
Pour résumer, le modèle finlandais garantit qu'on s'occupe des premiers intervenants à la suite d'une crise. On revient au calme le jour même, on verbalise dans les 24 à 72 heures suivantes et on offre ensuite le soutien (individuel) par les pairs et, au besoin, le soutien de psychologues qui comprennent le travail des policiers. Les colloques ont lieu six mois après l'incident.
Toute organisation qui fait preuve de lea-dership doit prendre des mesures importantes en prévision des situations de crise. Le but premier est de s'occuper du personnel et de s'assurer qu'il est apte à travailler. Il ne faut pas oublier que ces mesures de santé mentale et de protection permettent également d'économiser.
De plus, un coordonnateur externe devrait faciliter la prise de mesures après un incident et s'assurer que toutes les personnes qui sont intervenues reçoivent l'aide dont elles ont besoin.
S.é.-m. Roberta McKale
Voici quelques conseils que j'ai tirés de mon expérience de soutien aux membres après l'incendie de Slave Lake en 2011 et les inondations à High River en 2013.
À Slave Lake, l'équipe des Services aux victimes, comme l'ensemble des citoyens, a été évacuée et dirigée vers des centres d'enregistrement. Ensuite, il a été difficile de rendre ces services accessibles aux membres, à leur famille et aux membres de la communauté. Leçon apprise : il aurait fallu mettre les services aux victimes en place dès le début du désastre. Ce groupe, qui collabore avec le détachement, réunit des bénévoles qui peuvent fournir de l'information et du soutien.
Lors des inondations à High River, le groupe du bien-être des membres s'est immédiatement assuré du concours des Services aux victimes pour soutenir les membres et leur famille et a ensuite planifié l'intervention à long terme dans la collectivité. Une fois la structure de soutien en place, le groupe a assuré la liaison avec les Services aux victimes et la Croix-Rouge, ce qui a permis un bon échange d'information et l'utilisation des services de soutien en place.
Dans les communautés, les membres et leur famille sont perçus comme des modèles. En plus d'intervenir en cas de désastre, les membres doivent ensuite gérer les conséquences du désastre dans la communauté.
Il peut être stressant de ne pas pouvoir compter sur les services de certains membres dans un détachement, mais il est essentiel que les membres prennent le temps de se remettre. Il faut donc, d'une part, que les Services de santé offrent du soutien psychologique et, d'autre part, que les dirigeants surveillent l'équipe.
De nature, les membres voudront donner un coup de main dans la communauté. Mais les réactions négatives des citoyens peuvent aggraver les émotions négatives des membres. J'ai d'ailleurs vu un citoyen à la réception du détachement à Slave Lake crier à un membre qu'il ne pouvait pas comprendre le stress causé par la perte de sa maison alors que ce membre avait lui aussi perdu sa maison. Le membre a gardé son calme et son professionnalisme, mais de tels incidents font sentir leurs effets avec le temps.
Lorsque des services sont à la disposition des policiers, il faut y avoir recours. Par exemple, en cas de désastre où la Croix-Rouge intervient, les policiers comme tous les membres de la communauté peuvent s'inscrire pour recevoir du soutien, que ce soit des services, de l'information ou de la formation conçue précisément pour se remettre d'une catastrophe.
Après l'incendie à Slave Lake, la Croix-Rouge et les Services aux victimes ont offert un soutien spécialisé aux familles des membres du détachement. On leur a transmis de l'information cruciale pour leur permettre de se remettre et on leur a donné accès à des cours et à des indemnités pendant plusieurs mois après l'incident.
Je sais, pour l'avoir constaté, que les membres ne demandent pas spontanément de l'aide. Il peut être stressant de devoir discuter de ses difficultés, mais de telles conversations libres avec des personnes qui se soucient de leur bien-être et l'accès à de nombreux programmes internes peuvent réellement aider les membres à se remettre.