Vol. 78, Nº 1Reportages externes

Un groupe de personnes assises autour de la table basse.

Bien-être en milieu de travail

La police de San Diego mise sur la prévention en santé mentale

Les deux agents et deux sergents de l'équipe du Bien-être du service de police de San Diego travaillent au Centre du bien-être, un bureau aux allures de salon. Crédit : San Diego Police Department

Par

Aux prises avec une seconde éclosion très médiatisée de cas d'inconduite criminelle chez des policiers en 2011, le service de police de San Diego s'est employé à en chercher les causes, les facteurs contributifs, tout ce qui pourrait l'expliquer.

Après tout, on n'engage les policiers qu'au terme d'une rigoureuse enquête sur les antécédents et d'un examen psychologique complet. Avant d'entrer à la police, il faut avoir montré un solide sens moral et de bonnes intentions.

L'analyse de toutes les enquêtes, des personnes en cause et de leur histoire a révélé des problématiques personnelles et professionnelles qui s'étaient manifestées avant les actes criminels et qui n'auraient pas dû échapper aux collègues et aux superviseurs immédiats.

L'un vivait un divorce, l'autre luttait contre une dépendance; l'un vivait des problèmes interpersonnels au travail, l'autre peinait à composer avec une coupe de salaire. Le service offrait depuis des années des ressources d'aide à ses employés : aumôniers, psychologues, soutien par les pairs et formation en gestion du stress, entre autres. Mais dorénavant, il avait besoin que ces ressources soient utilisées de façon plus active que par le passé.

Comme d'autres services de police, le SPSD a constaté un changement de climat dû à plusieurs facteurs : coupes salariales, réforme des pensions, réduction de personnel et taux d'attrition jamais vus. L'obligation de faire plus avec moins et le sentiment de dévaluation ont pesé lourd sur les policiers qui n'ont pas tous su comment s'adapter. Et les dirigeants n'étaient pas bien préparés pour déceler ces problèmes d'adaptation et s'en occuper.

Le SPSD a décidé qu'il était temps de changer ce qu'il pouvait changer. En l'absence presque totale d'orientation et de modèles, il a mis sur pied son équipe du Bien-être.

Baptême du feu

Au jour Un, avant même qu'elle dispose de meubles, d'ordinateurs, de téléphones et d'un énoncé de mission, l'équipe de deux collègues a été réveillée par un appel annonçant qu'une détective et sa fille avaient été poignardées à mort par le fils instable de la famille.

L'équipe a commencé par rallier toutes les ressources d'aide que comptait le service pour aller soutenir les collègues incrédules et les enquêteurs chargés du dossier.

Tristement, l'incident n'allait être que le premier d'une série qui allait faucher la vie de cinq policiers en quelques semaines. En effet, un patrouilleur en uniforme a ensuite été tué d'une balle à la tête pendant qu'il attendait à un feu rouge et deux autres policiers ont été tués dans des accidents de la route. Jamais l'équipe du Bien-être n'avait été plus nécessaire.

Ce que cette succession de tragédies a fait ressortir de plus urgent était la nécessité de mobiliser les ressources capables de débreffer l'effectif et d'intervenir sur-le-champ auprès de tous les employés touchés par des incidents critiques, qu'il s'agisse de la mort de policiers ou d'autres événements traumatisants.

Sans attendre que la gestion en fasse la demande, l'équipe a commencé à déployer les ressources. Les occasions s'étant succédées rapidement, les aumôniers, psychologues et collègues orienteurs ont vite appris à évaluer quelles ressources convenaient le mieux aux situations. Ils ont aussi appris à se confier les uns aux autres les demandes des employés touchés, sensibles au fait que les ressources les plus utiles variaient selon les souhaits ou les croyances des policiers.

Quand le policier a été tué en pleine rue, de nombreux effectifs ont été dépêchés dans un grand secteur, à la recherche du suspect. Plutôt que d'attendre la fin des quarts et le retour au poste des policiers, les aumôniers et psychologues sont allés les rejoindre sur le terrain. Ce déploiement non traditionnel se perpétue lors d'incidents où les policiers peuvent avoir besoin d'une intervention immédiate mais ne peuvent pas quitter leurs postes.

L'équipe a aussi compris que toutes les ressources devaient suivre leur formation ensemble afin de mieux comprendre ce que chacune apporte.

Auparavant, les ressources d'aide relevaient de différents secteurs et étaient gérées séparément; elles ont été réunies au sein d'une même structure dans le but avoué de les gérer, de les coordonner et de les former en vue d'une mission commune.

Quand s'est enfin arrêtée la série de décès de policiers, l'équipe a préparé un sondage et l'a fait passer à tous les employés, assermentés et civils, ainsi qu'aux bénévoles du service, afin d'évaluer leurs besoins et d'établir ses priorités.

L'équipe se voyait comme un instrument pour réduire ou lever les obstacles au bien-être des employés, personnels et professionnels. Il est en effet impossible de séparer le travail de la maison, en raison de la technologie et de la nature du travail. L'analyse des réponses au sondage a révélé que les employés étaient préoccupés par les finances, l'épuisement professionnel, les relations familiales tendues et le stress administratif.

Changement de culture

Aux yeux de certains policiers, il est toujours mal vu de demander de l'aide, mais on aurait tort de renoncer. Si l'on continue de former les policiers permanents en matière de bien-être et de leur parler des ressources disponibles, le SPSD sait que pour changer la culture, il faut miser sur la jeune génération.

Prendre le pouls

Les employés du SPSD ont été invités à évaluer l'équipe du Bien-être. Voici les résultats révélés en 2013 :

99 % avaient entendu parler de l'équipe du Bien-être

• 59 % avaient fait appel aux services de l'équipe du Bien-être

• 72 % considéraient qu'il était moins mal vu qu'avant de demander de l'aide

• 80 % saisissaient mieux les enjeux du bien-être au travail

• 66 % estimaient qu'on discutait plus ouvertement du bien-être

• 88 % estimaient pouvoir demander de l'aide et en recevoir

• 85 % affirmaient qu'ils feraient appel aux services s'ils en avaient besoin

• 51 % connaissaient des gens qui s'étaient adressés aux services

• 81 % disaient qu'ils n'hésiteraient pas à entrer dans le Centre du bien-être

Les nouveaux policiers apprennent dès leur arrivée que l'équipe du Bien-être est un service, au même titre que la Rémunération, le Soutien opérationnel ou le service qui les équipe en radios et lampes de poche. C'est un des nombreux services de soutien nécessaires pour bien équiper les employés, pour répondre à leurs besoins. Les ressources sont à la disposition des employés et de leurs familles, sans qu'il soit nécessaire que l'employé en informe son supérieur ou qu'il lui en fasse la demande.

La veille du début de leur formation, les cadets reçoivent un dépliant qui présente les différents services d'aide offerts et les façons de s'adresser à l'équipe du Bien-être, dont les membres peuvent être rejoints 24 heures sur 24. Leur diplôme à peine décroché, ils ont une pleine journée de préparation psychologique animée par le psychologue en chef.

C'est une occasion de plus pour le personnel d'aide de faire connaître ses ressources aux nouveaux policiers et de côtoyer personnellement les membres des familles. Les aumôniers, psychologues et employés de l'équipe du Bien-être et d'autres membres du service sont présents pour rencontrer les policiers et leurs familles. Ils expliquent la nécessité de s'occuper de son bien-être de manière préventive.

Afin de rejoindre les policiers permanents et les sergents, on leur offre deux heures de formation sur le bien-être dans leur formation avancée obligatoire. On y parle du stress post-traumatique, de suicide, de dépression, de toxicomanie et des services offerts.

Centre du bien-être

L'équipe du Bien-être compte actuellement deux agents et deux sergents dont le rôle premier est de rencontrer les employés qui sont en crise ou qui se sentent perdre pied. Un employé peut demander des services pour lui-même ou pour un collègue qui l'inquiète.

Dans l'espoir de déstigmatiser l'aide psychologique, l'équipe du Bien-être offre ses services de façon ostentatoire – sur place, au Centre du bien-être, dans les locaux même du service de police.

En son cœur, le Centre offre à ses visi-teurs un espace salon et réserve aux membres de l'équipe un espace de travail dans chaque coin. La porte du Centre, qui donne sur la cafétéria, est toujours ouverte et laisse filtrer l'odeur du café frais, offert gratuitement. Si la confidentialité est de mise, on ferme la porte à clé et on y accroche une affichette qui annonce qu'une rencontre est en cours.

On demande souvent à l'équipe d'aborder un employé, tantôt parce qu'il subit une enquête, tantôt parce qu'il vit des problèmes à la maison. La plupart du temps, l'employé se montre réceptif, ou du moins apprécie l'intérêt. Beaucoup accepteront une référence ou une rencontre avec un membre de l'équipe du Bien-être.

Bon nombre d'employés entrent tout bonnement au Centre pour parler à quelqu'un, sachant que le service est offert et qu'il a fait ses preuves. Souvent, tout ce que l'employé veut, c'est de parler à quelqu'un qui comprend.

Si l'employé demande de l'aide et du temps pour régler une situation personnelle ou une crise familiale — ou s'il a besoin de passer à une affectation moins exigeante — il peut en faire la demande par l'entremise d'un conseiller de l'équipe.

Les dirigeants du service appuient largement l'équipe, qui continue à prendre de l'ampleur. Et si l'on ne peut prédire l'avenir, il est clair cependant que le bien-être des employés relève de la responsabilité de la direction et qu'elle devra demeurer une priorité. L'équipe du Bien-être poursuit son travail, et il faut dorénavant préparer les dirigeants pour qu'ils soient les premiers à veiller au bien-être de leurs employés, afin que l'organisation offre à tous un climat sain et heureux.

Date de modification :