Vol. 79, Nº 2Reportages

Policiers circulant dans une rue jonchée de débris.

Au cœur de la tourmente

Les communications, clé de la survie à l'ouragan qui frappé Haïti

Dans la ville de Jérémie, des policiers partent en patrouille à pied pour évaluer les dommages causés par l'ouragan. Crédit : Serg. Dan Gaudet, GRC

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En tant qu'habitant de l'Est, le serg. Dan Gaudet a connu sa part d'ouragans, mais ces tempêtes ne se comparent en rien à l'ouragan Matthew qui a frappé la ville côtière de Jérémie, en Haïti, où le sergent était affecté.

C'est le 4 octobre 2016 que la tempête a sévi, dévastant les régions côtières du Nord-Ouest, du Sud-Ouest et du Sud.

À l'époque, un contingent de 90 policiers canadiens était déployé à l'échelle du pays dans le cadre de la MINUSTAH, la mission des Nations Unies à l'appui des opérations et du développement de la Police nationale d'Haïti (PNH).

Contrairement au séisme qui a frappé le pays en 2010, le contingent des Nations Unies et du Canada a eu quelques jours pour se préparer à l'ouragan de catégorie 4.

Se préparer au choc

C'est le serg. Rock Brunet, d'Opérations et Développement policier internationaux de la GRC, qui a coordonné la mission du bureau d'Ottawa. Dès qu'il a su qu'un vaste ouragan s'était formé dans les Antilles et se dirigeait vers Haïti, il a pris deux mesures.

D'abord, il a consulté le Plan d'intervention en cas d'incident critique (PIIC) du Centre des liaisons et des déploiements internationaux de la GRC, qui supervise l'affectation des policiers canadiens à l'étranger.

« Dans tout événement majeur où nous avons des effectifs, nous nous référons au PIIC, explique-t-il. Nous le suivons à la lettre, qu'il s'agisse d'un attentat terroriste, d'un coup d'État ou d'une catastrophe naturelle. »

Ensuite, il a cherché conseil auprès de ses collègues qui étaient déployés lors du séisme en 2010. On lui a répondu que les communications étaient cruciales.

« Les ouragans sont imprévisibles, précise-t-il. On ne savait pas exactement où il frapperait. Nous nous sommes préparés au pire en espérant que tout se passerait bien. »

Le serg. Brunet assurait la liaison entre Port-au-Prince et les organismes avec lesquels les policiers coopéraient et il était en contact constant avec le chef du contingent, l'insp. Lucie Dubois de la GRC. Ensemble, ils ont appliqué le PIIC tout en donnant des mises à jour aux organismes partenaires et aux familles des policiers.

Si les Nations Unies étaient responsables de leurs agents et des décisions relatives à l'évacuation et au confinement, l'insp. Dubois s'est assurée que son contingent était bien informé, savait quoi faire et disposait du matériel voulu.

« La consigne était que chacun devait se présenter en personne périodiquement, afin que je sache en permanence la position et l'état de chacun », précise-t-elle.

Elle était aussi en liaison avec le centre d'opérations des Nations Unies et le chef de chaque détachement où des policiers canadiens étaient affectés en Haïti.

À Jérémie, la mission était axée sur les préparatifs en vue de l'élection prochaine, mais le serg. Gaudet, de son côté, s'affairait en vue de l'ouragan imminent. Il était en contact avec l'insp. Dubois à Port-au-Prince ainsi qu'avec famille et amis au Canada.

En compagnie des deux autres policiers canadiens et de deux policiers américains avec qui il cohabitait, le serg. Gaudet a amorcé les préparatifs d'urgence. Ils ont fait des provisions suffisantes d'eau et de vivres pour subsister de 48 à 72 heures, nettoyé la cour, fait une réserve de carburant pour la génératrice, rechargé les piles de leurs ordinateurs portables et de leurs cellulaires, remplacé celles des lampes de poche et vérifié que l'unique téléphone satellite de la ville était fonctionnel.

Puis, l'attente a commencé.

Tenir bon

Toute la ville était immobile en attente de l'ouragan, explique l'insp. Dubois. Les Canadiens étant répartis aux quatre coins du pays, alors chacun a vécu une réalité distincte. »

Les Nations Unies avaient donné l'ordre de confinement, ce qui signifiait que les policiers devaient rester dans leur refuge jusqu'à la fin de la tempête. Le serg. Brunet était rassuré quant à la sécurité des membres en mission, qui vivent dans les meilleures constructions disponibles.

Port-au-Prince n'a pas connu les pires dommages. L'insp. Dubois était en liaison constante avec le serg. Brunet à Ottawa et l'ensemble des régions d'Haïti, à l'exception de Jérémie.

« J'étais inquiète, et pas seulement pour les Canadiens, mais pour tous nos collègues et la population, dit-elle. Les habitants sont tellement vulnérables; mon cœur était déchiré pour eux. »

À mesure que la tempête s'intensifiait, le serg. Gaudet voyait les toits se détacher des maisons et les débris voler partout; c'est alors que la pluie et des vents de 240 km/h ont réduit la visibilité à néant. « On aurait dit une tempête de neige », dit il.

L'eau ruisselait dans la maison et on entendait les panneaux solaires se détacher du toit. À un moment donné, les réservoirs d'eau remplis ont aussi été arrachés de la toiture.

Après plusieurs heures, les vents se sont calmés et l'œil de l'ouragan s'est fixé sur le secteur. Le serg. Gaudet est alors sorti avec d'autres membres pour évaluer les dommages.

« Tout était détruit, dit il. Mais les gens circulaient comme si la tempête était finie. Je leur disais de rentrer chez eux. C'est alors que le vent s'est levé et a changé de direction, et qu'une pluie torrentielle s'est abattue sur la ville. »

La tempête a fait ravage pendant plu-sieurs heures.

À Port-au-Prince et à Ottawa, l'insp. Dubois et le serg. Brunet se sont attelés à déterminer le matériel et les fournitures dont les gens auraient besoin.

Le serg. Brunet a également envisagé l'éventualité de stress post-traumatique, d'infections, de maladies et d'une exposition aux moisissures si les foyers étaient inondés.

« Nous devions nous rappeler qu'avant de pouvoir nous occuper des autres membres de la collectivité, nous devions nous assurer que nos effectifs étaient sains et saufs. »

Et on était toujours sans nouvelles de Jérémie.

Ce n'est que plusieurs heures plus tard que le serg. Gaudet a pu faire un appel bref de 10 secondes à l'aide du téléphone satellite.

« Tout le monde a poussé un soupir de soulagement, car il n'y avait finalement aucune victime parmi les policiers canadiens ou rattachés aux Nations Unies, dit-il. Tous étaient sains et saufs. »

Mais les difficultés ne faisaient que commencer.

L'après-ouragan

« Nous avons survécu à la tempête, ce qui était déjà éprouvant, explique le serg. Gaudet. Mais ce n'était rien à côté de ce qui nous attendait. »

Le lendemain de l'ouragan, à Jérémie, on a organisé une patrouille à pied, les routes étant impraticables.

« Nous marchons au milieu d'une rue lorsque nous avons vu deux hommes, relate-t-il. Nous leur avons demandé où était leur maison, ce à quoi ils ont répondu qu'elle était à nos pieds. Les gens étaient désespérés. »

Le deuxième jour, la PNH et des civils ont décidé de dégager la route menant à l'aéroport à l'aide de scies à chaîne. « Grâce à l'entraide, nous avions déblayé le tronçon de 7 km à six heures le lendemain. C'est vers le moment où les premiers hélicoptères ont atterri avec des renforts », dit-il.

Les ONG, les Nations Unies, l'armée américaine et des hélicoptères chargés de vivres et de provisions ont commencé à arriver, mais on disposait de peu de ressources pour gérer le tout, la ville ayant été détruite. Il n'y avait nulle part où installer et héberger les gens.

« C'était un cauchemar, sur le plan logistique, dit le serg. Gaudet. Nous nous réunissions quotidiennement pour déterminer une stratégie. Nous avons réalisé sans tarder l'importance de la sécurité. »

En effet, les camions d'aide humanitaire arrivant chargés de provisions étaient pillés par des résidents désespérés.

Du jour au lendemain, la mission avait revêtu un caractère humanitaire.

À la fin de janvier, le courant n'était que partiellement rétabli à Jérémie, les infrastructures étant toujours gravement endommagées. Des génératrices conti-nuent d'alimenter les commerces et certaines résidences, tandis que la reconstruction progresse lentement.

Les Nations Unies signalent que si le nombre d'Haïtiens souffrant de la faim diminue continuellement depuis l'ouragan, 1,5 million de personnes vivent encore dans l'insécurité alimentaire.

Avant la catastrophe, le serg. Gaudet avait pour tâche de collaborer avec la PNH, effectuant des patrouilles et soutenant les enquêtes. Depuis l'ouragan, 90 p. 100 de ses fonctions consistent à assurer la sécurité des convois d'aide humanitaire.

« Nos membres savent d'emblée que leur travail peut changer sans préavis, en fonction des besoins sur le terrain », explique le serg. Brunet.

Et dans les jours et les mois qui ont suivi l'ouragan, les policiers canadiens ont apporté leur aide selon les moyens dont ils disposaient.

« Ils se sont remis sur pied et ont travaillé sans relâche, explique l'insp. Dubois. Certains secteurs ont été plus durement touchés que d'autres, mais tous ont fait un travail exceptionnel. »

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