Auparavant, interroger un suspect voulait dire l'accuser d'un crime pour l'amener à passer aux aveux, mais depuis que la GRC a adopté le Modèle progressif d'interrogation des suspects, cette façon de procéder est l'exception plutôt que la règle. Le serg. Darren Carr, spécialiste en la matière à la GRC, a pris une part active à l'élaboration du nouveau modèle. Il s'est entretenu avec Deidre Seiden au sujet des meilleures techniques et des raisons derrière le virage.
En quoi consiste la méthode d'interrogation progressive?
C'est une méthode qui concilie neutralité et accusation. En Amérique du Nord, on tendait à utiliser la technique Reid, de nature fortement accusatrice. Le nouveau modèle progressif s'inspire du modèle PEACE utilisé au Royaume-Uni. Il s'agit non pas d'accuser le sujet, mais de le laisser s'exprimer librement, puis de se concentrer sur les mensonges vérifiables, par exemple, pour infirmer peu à peu sa version des faits.
Quel est le plus grand changement?
Avant, on apprenait à rejeter sur-le-champ les dénégations du suspect, ce qui n'est plus le cas. On revient maintenant toujours à la méthode d'interrogation non accusatrice. Si le sujet veut nous donner une raison qui lui semble plausible pour expliquer la présence de son ADN sur le couteau, on le laisse faire.
Et puis on n'essaie plus d'évaluer subjectivement sa gestuelle ou ses propos. Des études ont prouvé que ça ne fonctionne tout simplement pas. C'est d'ailleurs la plus grande faille de la technique Reid : elle se fonde beaucoup sur l'idée qu'il est possible d'évaluer subjectivement la véracité d'une déclaration, ce qui est faux.
Une autre chose qui a changé, c'est qu'on ne cherche pas à obtenir un aveu, mais de l'information. Toute la différence entre le modèle PEACE et la technique Reid est là. On ne s'acharne pas aveuglément à faire avouer le suspect.
Quelles techniques sont efficaces pendant une interrogation?
Au début, on essaie juste de faire parler le sujet à propos de n'importe quoi, pour ensuite enchaîner avec la raison de sa présence au poste de police. Même si la preuve montre qu'il ment, on s'en fout. On veut juste le laisser parler.
La prochaine étape importante est celle de la remise en question. C'est alors que je souligne les incohérences dans la déclaration du sujet, mais de façon neutre. Je le laisse donner l'explication qu'il veut au lieu de l'accuser et de couper court à ses dénégations.
L'autre technique sur laquelle on mise est celle de l'utilisation stratégique de la preuve. Auparavant, si on détenait un élément de preuve quelconque, une bande vidéo par exemple, on entrait dans la salle d'interrogation en disant au sujet que sa culpabilité ne faisait aucun doute, qu'il ne servirait à rien de la nier et qu'il ne lui restait plus qu'à s'expliquer. Maintenant, on lui demande simplement où il était la veille, sachant qu'on a cette preuve en réserve et que s'il ment, on en aura la confirmation objective. Puis à un certain stade de l'interrogation, on sort la pièce en question et on lui demande : « Alors, pouvez-vous expliquer ça?
» On y va stratégiquement.
Était-il nécessaire de changer la façon de procéder?
En 2012, quand je faisais partie de l'équipe d'interrogation en Colombie-Britannique, on s'est rendu compte qu'il fallait adapter notre modèle.
On croyait par le passé qu'il était possible de procéder de la même façon pour n'importe quelle interrogation, mais ce n'est pas vrai. L'interrogation est un processus très dynamique. Parfois, on a une montagne de preuves et, parfois, on n'en a aucune. Parfois, le sujet discute volontiers et, parfois, il se tait. Je pense qu'il était naïf de penser qu'un modèle unique pouvait s'appliquer à toutes les interrogations.
Un collègue et moi avons passé un mois au service de police métropolitain de Londres à nous familiariser avec le modèle PEACE et, à notre retour, nous avons créé un groupe de consultation formé d'experts en la matière du pays entier. C'est de là qu'est venu le Modèle progressif d'interrogation des suspects, qui s'adapte selon le déroulement de l'interrogation et qui a été adopté dans l'ensemble de l'organisation.
Une interrogation efficace se mène lentement, sur un ton neutre, avec la conscience de la possibilité de passer à un questionnement accusateur au besoin, sans toutefois qu'il y ait la moindre attente en ce sens.