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Avec les personnes vulnérables ou à haut risque, comme les travailleurs de la rue, les fugueurs ou les victimes de violence familiale, il faut impérativement adapter la prestation de services afin de leur apporter le soutien dont elles ont besoin. Mais ça ne s'arrête pas là. Nous avons demandé à quatre agents de la GRC comment ils savent que leur démarche porte ses fruits – et comment en mesurer l'impact.
Les experts :
- Serg. Trevor Dinwoodie, s.-off. resp. de l'équipe de proximité de Surrey (C.-B.)
- Gend. Stéphanie Leduc, Détachement d'Inuvik (Nunavut)
- Cap. Derek Cosenzo, Détachement de la GRC à Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest)
- Insp. Pamela Robinson, off. resp. du Détachement de la GRC à St. Albert (Alberta)
Serg. Trevor Dinwoodie
L'équipe de proximité de Surrey cherche avant tout à aider les personnes les plus vulnérables aux prises avec de sérieux problèmes de toxicomanie et de maladie mentale dans l'une des régions les plus défavorisées du Lower Mainland (C.-B.). Elle a été créée à un moment où la côte Ouest était frappée par des intempéries inédites et connaissait un niveau inégalé de violence et de décès par surdose. Elle se compose d'un sergent, d'un caporal et de 17 gendarmes, dont un travaille exclusivement comme agent de liaison en santé mentale, tandis que les autres effectuent des tâches de police communautaire. Quatre agents d'application des règlements municipaux sont également rattachés à l'équipe la journée.
Je suis chanceux de travailler à Surrey, une ville très progressiste qui a soutenu notre équipe tout au long du projet. De plus, le Détachement de Surrey est le plus grand au pays. J'ai donc le luxe de pouvoir m'appuyer sur de nombreux services de soutien.
Nous avons compris dès le début la nécessité de fournir des données chiffrées à notre équipe d'analyse. Nous avons choisi des éléments mesurables à partir desquels on peut produire des données quantitatives et effectuer des analyses qualitatives (surdoses, crimes violents, crimes contre les biens, etc.). On peut ainsi effectuer des comparaisons en cours d'année et déterminer notre taux de succès. Nous produisons actuellement un rapport mensuel et une évaluation annuelle plus détaillée.
Une fois l'équipe bien implantée dans la région, nous avons pensé qu'il était temps qu'un expert indépendant, recommandé par l'autorité sanitaire locale, procède à une évaluation tous azimuts. Le consultant a interviewé le personnel, les organismes partenaires et nos clients, et a fourni un rapport détaillé sur les aspects positifs et ceux à améliorer. Nous étions heureux qu'il soit si élogieux de notre approche et confirme que nous étions sur la bonne voie.
Enfin, nous avons instauré une séance d'information quotidienne avec tous nos partenaires locaux, y compris le personnel des refuges, les groupes confessionnels et les travailleurs de la réduction des méfaits. Tenues du lundi au vendredi, ces séances permettent de discuter de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas.
Nous pouvons ainsi moduler notre action pour mieux répondre aux besoins de nos clients.
Pour prouver que cette approche fonctionne, il suffit de regarder la 135A Street à Surrey (C.-B.).
Quelque 160 personnes vivaient sous des tentes dans cette rue. En établissant un lien de confiance et de respect avec elles, et en nous ajustant continuellement, nous sommes parvenus à toutes les placer dans des refuges et logements supervisés.
Gend. Stéphanie Leduc
Depuis le début de ma carrière, je participe à des initiatives de proximité axées principalement sur les jeunes.
Je me suis rendu compte que les activités et les priorités policières sont dictées par les statistiques. Lorsqu'il y a un pic dans le signalement d'un type de crime, le financement et les ressources vont dans cette direction. Si le nombre de signalements diminue, on considère alors que les mesures ont porté leurs fruits.
Mais comment mesurer l'efficacité de l'action de proximité et démontrer l'utilité des ressources policières qui y sont affectées?
Les statistiques ne sont pas très utiles pour ça; la façon dont le comportement d'un groupe à l'égard de la police change et se transforme en relations positives, elle, est révélatrice.
Durant la dernière année, la gend. Jenna Moore et moi donnions un cours hebdomadaire au secondaire. À la fin de l'année scolaire, nous avons remarqué qu'un grand nombre d'élèves nous saluaient, nous invitaient à leurs activités sportives et nous renseignaient sur la criminalité alors qu'ils nous adressaient rarement la parole avant.
Une étudiante m'a confié qu'elle n'aimait pas les policiers auparavant, mais qu'elle les trouve plutôt cool à présent. Selon moi, c'est un succès, même s'il est difficile à chiffrer.
En tout cas, je peux vous dire que j'en ai vu les effets positifs à mon niveau.
J'ai conçu le programme Minigen-darmes au Détachement de Drayton Valley (Alb.), mon premier lieu d'affectation, et il a maintenant essaimé dans tous les Territoires du Nord-Ouest.
Ça se passe dans les écoles élémentaires locales pendant l'année scolaire. Chaque mois, on choisit un thème et on s'installe dans un coin de l'école pour fournir de l'information aux élèves et aux parents sur le sujet. Des agents de la GRC se rendent dans les salles de classe pour en parler et distribuer des feuilles à colorier sur la thématique. À la fin du mois, on choisit un mini-gendarme en fonction des recommandations des enseignants et des feuilles de coloriage remises.
Au début, très peu d'élèves s'approchent de moi lorsque je suis en uniforme – ça les intimide. Certains membres du personnel ne voient pas non plus d'un bon œil la présence d'un agent en uniforme à l'école par égard aux élèves dont la famille a déjà eu des démêlés avec la police.
Cependant, un mois plus tard, la dynamique change diamétralement. Les élèves sont contents de voir des policiers. Je ne compte plus les câlins et les tapes dans la main que je reçois. Il y a des jours où les élèves ne me laissent pas partir parce qu'ils veulent que je leur lise des histoires ou que je les rejoigne en classe. Ce programme tout simple suscite des sentiments positifs envers la police.
Mesurer certains crimes est une chose; mesurer la qualité des relations avec la police en est une autre.
Je sais que l'action de proximité est efficace, mais il est difficile d'en chiffrer l'impact; il faudrait peut-être compter le nombre d'enfants qui me désignent avec enthousiasme à l'épicerie pendant mes jours de congé, me sourient et me saluent tout en disant à leurs parents « C'est la policière qui est venue dans ma classe!
».
Cap. Derek Cosenzo
Depuis l'été 2017, le Détachement de la GRC à Yellowknife s'associe au Programme de gestion intégrée des cas (PGIC) par l'entremise du ministère de la Justice des Territoires du Nord-Ouest.
Aussi appelé Pathfinders, ce programme pilote accompagne les personnes à risque et leur fournit les services dont elles ont besoin : logement, soutien du revenu, services de santé, etc.
Le rôle de la GRC à Yellowknife consiste à aider à identifier et à aiguiller ces personnes au moyen de statistiques et en misant sur la concertation.
En se concentrant sur les troubles à l'ordre public, comme le tapage, un agent identifie les individus en fonction du nombre de contacts qu'ils ont eus avec la police.
Exemple : la présence d'une personne intoxiquée et inconsciente dans des lieux publics nous était régulièrement signalée. Son comportement découlait d'une problématique d'itinérance et de toxicomanie.
C'était donc un candidat idéal à l'aiguillage et, au terme d'une procédure de consentement éclairé, on l'a mis en contact avec le PGIC et un référent lui a été attribué. Celui-ci l'aide à obtenir les services de base dont il a besoin et la GRC continue d'agir comme agent de liaison.
Le gestionnaire du programme à Yellowknife sait les difficultés que rencontrent les personnes qui tentent de résoudre leurs problèmes personnels et de naviguer dans les méandres des différents services.
Comme les bénéficiaires sont identifiés individuellement et à l'aide de statistiques, la GRC dispose de chiffres pour mesurer le succès du programme.
Dans l'exemple cité plus haut, la personne avait eu 67 contacts avec la police durant les six mois allant de décembre 2016 à mai 2017; c'est pourquoi elle a été orientée vers le programme.
Le détachement a continué à suivre le cas et observé une baisse constante des contacts avec la police : 30 du 1er avril au 30 juin 2017; 23 du 1er juillet au 30 septembre 2017; 19 du 1er octobre au 31 décembre 2017; et seulement 7 du 1er janvier au 31 mars 2018.
Les contacts ont diminué de 63 p. 100 entre le troisième et le quatrième trimestre, coïncidant avec l'obtention d'un logement grâce au programme Yellowknife Housing First. Une fois ses besoins essentiels de logement, de nourriture et de sécurité sa-
tisfaits, ses contacts avec la police ont baissé drastiquement.
Cette méthode permet de mesurer les résultats à la lumière des appels au service de police et de démontrer l'utilité des programmes comme Housing First et le PGIC.
Insp. Pamela Robinson
Le métier policier recèle une multitude d'occasions d'enseignement, qu'il s'agisse d'éduquer le public au cadre de la loi, aux limites et attentes connexes ou à la responsabilité qu'ont les résidents d'aider la police à préserver la sécurité.
Ce dialogue est au cœur de l'action de proximité. C'est à travers ces relations avec nos communautés que nous comprenons vraiment la culture, la diversité et les besoins de nos clients.
Les statistiques sur la criminalité n'attestant que partiellement de notre effort policier, le succès de l'action de proximité se mesure à notre capacité à nous adapter et à répondre aux besoins des collectivités.
En 2017, la Ville de St. Albert a mené un sondage sur la satisfaction de la collectivité; 92 p. 100 des répondants jugeaient que St. Albert était un endroit sûr et 89 p. cent que la police répondait à leurs attentes. Ceux qui se disaient insa-
tisfaits souhaitaient une police plus visible et davantage de patrouilles et d'actions de répression.
Ces résultats positifs sont attribuables à un plan à long terme misant sur la mobilisation communautaire, à une stratégie de communication axée sur l'éducation et la répression et à un engagement à travailler en concertation avec nos citoyens et nos partenaires pour comprendre les besoins des uns et des autres.
Nous avons trouvé des façons novatrices d'adapter notre action aux besoins de nos concitoyens, notamment en mettant sur pied une patrouille de voiturettes de golf sur notre réseau de 85 km de sentiers. Ces véhicules n'exigent pas de formation particulière et permettent en revanche d'accroître notre visibilité et, partant, la mobilisation des citoyens; la patrouille a donc un effet dissuasif sur les crimes commis dans ces secteurs isolés.
C'est un outil inestimable qui nous aide à communiquer avec la collectivité. Il permet à notre population diversifiée de rencontrer les policiers autrement que lors d'un appel de service et de leur signaler des comportements suspects ou des préoccupations. Les résidents disent maintenant se sentir plus en sécurité sur les sentiers et ces efforts de collaboration ont mené à une diminution de 33 p. 100 des méfaits durant les mois d'été.
Nous donnons également aux citoyens les moyens d'agir en publiant une carte de la criminalité qui indique les tendances quotidiennes en matière de crimes contre les biens, ainsi que des conseils sur le signalement des comportements suspects. Les données recueillies nous aident ensuite à identifier les délinquants.
Nous travaillons aussi avec des partenaires, comme le comité de mobilisation stratégique de la Ville de St. Albert, formé de représentants de la municipalité, des services de santé, des écoles, des groupes confessionnels, des services à la famille et du soutien communautaire. Ces partenaires viennent en aide aux personnes en crise et s'assurent qu'elles sont prises en charge et reçoivent un bon accompagnement.
Grâce à cette collaboration et ce soutien, le signalement des incidents de violence familiale a crû de 5 p. 100 (de 607 en 2016-2017 à 638 en 2017-2018) et celui des agressions sexuelles, de 33 p. 100 (de 9 en 2016-2017 à 12 en 2017-2018).
Les stratégies de communication concernant la sécurité publique et le soutien offert ont incité les victimes à signaler ces crimes graves.
Lorsqu'on prend le temps de travailler en concertation et d'expliquer le « pourquoi des choses », l'action de proximité va de soi et on est en mesure d'aborder collectivement les problèmes qui surgissent avant qu'ils ne s'enracinent.